— Il — façon déjuger on n’a vu qu’incohérence là où il y eut, dès le début même, recherche de discipline. Aujourd’hui pour quelques rares élus la discipline est établie et comme on n’a jamais rêvé d’un art froid, mathématique et antiplastique, unique ment cérébral, les œuvres qu’ils nous donnent s’adressent directement à l’œil et aux sens des amateurs de peinture. Mais pour aimer cette peinture il faut d’abord comprendre pourquoi son aspect est tellement différent de celui auquel notre œil était accoutumé. Le but est différent ; les moyens doivent l’être aussi-et le résultat également: plaire au public, ce qui sera la conséquence du résultat, n’est qu’une affaire d’édu cation de sa part. Depuis la création de la perspective comme moyen pictural on n’avait trouvé dans l’Art, rien d’aussi important. Notre époque est le temps où l’on a trouvé l’équivalence de ce moyen merveil leux. Comme la perspective est un moyen de représenter les objets selon leur appa rence visuelle, il y a dans le cubisme les moyens de construire le tableau en ne tenant compte des objets que comme élément et non au point de vue anecdo tique. Il devient alors nécessaire de préciser la différence qui existe entre l’objet et le sujet. Celui-ci est le résultat de l’emploi des moyens de création que l’on s’est acquis : c’est le tableau lui-même. Les objets n’entrant plus que comme élément on comprendra qu’il ne s’agit pas d’en donner l’aspect mais d’en dégager, pour servir au tableau, ce qui est éternel et constant (par exemple la forme ronde d’un verre, etc...) et d’exclure le reste. L’explication de la déformation des objets, que le public n’a jamais eue, est là. Elle est une conséquence et ne saurait être admise comme fantaisie arbitraire du peintre. Autrement nous ne sortirions pas des déformations caricaturales excusées par cette expression surannée pour nous : « la façon de voir ». Après ce qui précède on comprendra que nous n’admettions pas qu’un peintre cubiste exécute un portrait. Il ne faut pas confondre. Ce qu’il s’agit de créer c’est une œuvre, un tableau en l’espèce, et non pas une tête ou un objet, construits selon des lois nouvelles qui ne justifieraient pas assez l’apparence où elles aboutissent. C’est cette création, dont je parlerai aussi plus tard à propos de poésie, qui mar quera notre époque. Nous sommes à une époque de création artistique où l’on ne raconte plus des histoires plus ou moins agréablement mais où l’on crée des œuvres qui, en se détachant de la vie, y rentrent parce qu’elles ont une existence propre, en dehors de l’évocation ou de la reproduction des choses de la vie. Par là, l’Art d’aujourd’hui est un art de grande réalité. Mais il faut entendre réalité artis tique et non réalisme; c’est le genre qui nous est le plus opposé. On a donc le droit de dire que le cubisme est la peinture même autant que la poésie d’aujourd’hui est celle qui est la poésie même. Et qu’importent après cela les objets dont on se sert, qu’importe leur nouveauté si l’on s’en sert avec des moyens qui ne sont pas nés avec eux et pour eux? De là seulement, de cette appro priation de moyens totale naît le style qui caractérise une époque. Dans le domaine de l’art ce ne sont jamais les créations d’un autre ordre qui ont servi de jalon et quand nous parlons d’époque il faut entendre époque artistique — parce que je ne suis pas chauffeur d’automobile. Pierue Reverdy