par tons purs à plats. Pendant les années de la du dehors, qu'ils aiment pourtant et ne négligent guerre, on avait toujours vécu dans le gris. Les jamais complètement. Par esprit et par nature, œuvres de Picasso lui-même sont réalisées avec Léger est plus près du rationalisme nordique, très des tons sourds. La Ville de Léger apportait la tendu, que de la relativité et de la mesure latines. chanson de la lumière. Ce côté humain ne doit Le point de départ de chaque œuvre de Léger est pas être négligé, si l'on veut s'expliquer l'influence essentiellement instinctif. Tous ses tableaux sont considérable de la Ville, exposée tour à tour à Paris, sortis de petites études conçues par l'inconscient à Londres, à Berlin, à New-York, sur les jeunes et écrites d'un seul jet. peintres, comme sur l'art ornemental, sur l'affiche et, d'une manière générale, sur tout ce qui est couleur enfermée dans une forme géométrique. . . . ° / Mais, si ce tableau de premier ordre classe son Différences fondamentales auteur auprès des deux maîtres cubistes, nul pour- ; tant ne montre mieux la différence entre son œuvre entre les ŒUuVfESs de Leger et la leur. Il est vrai que le cubisme a recherché . constamment le volume, comme le fera plus tard et celles des cubistes Léger, mais sur ce point, Léger est allé beaucoup plus loin que Braque et Picasso, qui interprètent le volume avec mesure alors que chez Léger le volume, Les différences fondamentales qui séparent Léger comme la couleur, subissent cette hypertrophie de Picasso et de Braque, commencent d'ailleurs que nous avons notée. Plus sensible que les par une influence commune, celle de Cézanne ; cubistes, par ses origines paysannes, aux mouve- mais elle n'a pas été de longue durée sur aucun de ments extérieurs de la vie, il en a subi davantage ces trois peintres. Comme je l'ai écrit, à propos de l'influence. D'autre part, pendant la période de 1902 Braque, cette influence était toute extérieure. Il à 1918, c'est-à-dire pendant plus de seize ans, n'a aucunement contribué à la formation du cubisme. Léger n'a fait qu'accumuler des sensations, sans De même, pour Léger, elle fut de courte durée réaliser une œuvre. Toute la période d'avant-guerre et s'est seulement traduite par une certaine recherche de Léger est une époque de formation. Sa pléni- d'atmosphère et par des tons gris-bleus qui carac- tude est d'après-guerre, tandis que Picasso, qui térisent les œuvres de 1912. Mais, pendant que est du même âge que Léger, a réalisé, de 1898 Braque et Picasso se tournaient vers la recherche à 1918, une œuvre considérable et variée. d'un ordre nouveau, Léger élargissait ses moyens L'accumulation d'éléments plastiques et la sen- en subissant l'influence des primitifs italiens et sibilité à l'égard des spectacles de la guerre, avaient de Rousseau. conduit Léger, en 1918, à l'invention d'une vie Une autre différence très sensible entre Léger et plastique colorée, et la tension humaine qui enve- les cubistes, différence qui justifie tout ce que je loppait l'artiste pendant les années de guerre, viens de dire, c'est le choix des objets à représenter. s était exprimée dans son œuvre par la tension L'âme de Picasso et de Braque, toute de nuances excessive et curieuse des Disques, de la Ville et et de finesses avait pris pour thèmes plastiques des du Grand déjeuner. Certes, pendant cette période, objets de la vie intime : un paquet de tabac, une Picasso avait également donné dans une sorte pipe, un fragment de journal, une bouteille, un d'hypertrophie des formes humaines. Mais l’ori- verre, etc. Léger, plus sensible aux gros effets gine de cette tendance est bien différente chez les extérieurs, ne s’est laissé inspirer que par des deux peintres. Elle est, chez Picasso, le résultat passages à niveau, des usines, des remorqueurs, d'une culture intense et d'une activité cérébrale des disques de voies ferrées, etc… De même, chez hors pair. Chez Léger, elle provient uniquement Braque et Picasso 11 y a recherche de matières de la vision de la guerre, qui avait furieusement nouvelles qu'ils appliquent sur leurs tableaux. augmenté sa vitalité. Au lieu de se laisser abattre Aucune préoccupation de ce genre chez Léger, comme tant d'autres, Léger a réagi de toutes ses qui ne fait que représenter par le pinceau les objets forces, au point d'y trouver une matière propice qu'il veut transposer plastiquement. au jeu de ses facultés instinctives longtemps conte- Ces diffé | d des d nues et réprimées par des travaux quotidiens en à ae one d TL tendances es, deux opposition avec son tempérament. Cette sensibilité grands cubistes et celles de Leger, sont extérieures. de Léger aux faits extérieurs, fait que les objets Venons aux différences plus intérieures et plus sont, chez lui, plus intenses que chez Picasso et techniques. chez Braque, les natures de ceux-ci étant au con- Les cubistes ont dissocié la couleur et la forme traire plus sensibles à la vie intérieure qu’à celle en pulvérisant tout (première étape du cubisme).