ÇA IRA !
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C’est vrai, il ne se trouve pour ainsi
dire personne, à l’heure actuelle, qui
veuille encore prétendre que ce rôle
consiste à se mettre docilement au ser
vice des pouvoirs civils ou religieux.
Mais, à cette conception primitive du
but de la peinture une autre s’est sub
stituée, non moins néfaste, et qui n’est
que trop souvent admise par l’opinion.
Elle tend, notamment, à ne considérer
cet art que comme un auxiliaire précieux
de la littérature, de l'histoire ou même
♦
de la morale, et destiné — en les
illustrant — à élargir leur influence et
à faciliter leur action sur le public. C’est
l’idée de l’art à portée éducative, dont
nous avons parlé au début de cet article.
Il paraît superflu de démontrer ce que
pareille opinion a de mesquin et que
c'est ravaler la peinture que de lui
refuser ainsi toute existence indépen
dante. Non ! Les peintres ne sont pas
les sous-ordres des littérateurs ou des
historiens et ils ont le droit d’édifier une
oeuvre qui leur appartienne en propre.
Le but de la peinture est d’exprimer la
vie — toute la vie, extérieure et inté
rieure — et cela uniquement avec des
moyens plastiques. Et il est vain de
vouloir y mêler des éléments empruntés
à la littérature ou aux sciences, car cela
ne peut produire qu'un art hybride,
incapable de provoquer une pure émo
tion esthétique.
Cette vérité, les peintres nouveaux
en sont profondément imprégnés et
c’est ce qui leur a permis de réaliser
enfin des oeuvres d’une plasticité ab
solue, en s’inspirant rigoureusement du
vrai rôle de l’art plastique et en lui
restituant ainsi son plein sens.
Et c’est pourquoi il est doublement
injuste d’accuser ces „ bolchévistes de
l’art ", selon l’expression des bonzes de
la critique officielle, de méconnaître le
but véritable de la peinture en produisant
des toiles que personne ne peut com
prendre. D’ailleurs, notre conclusion ne
rentre-t-elle pas dans l’ordre des choses,
et ne serait-il pas absurde que l’artiste
doive interrompre sa marche en avant
pour se maintenir au niveau de la masse?
C’est celle-ci qui doit tâcher de s’élever
jusqu’à lui, afin qu'il puisse poursuivre
sa route sans entraves aucunes.
Georges MARLIER.
Le Songe cPun Gosse
Il se promenait aux alentours de la
ville. Longeant les fortifications, il
cherchait une pièce d’or, un homme
sérieux ou une automobile. Sa démarche
indiquait un tempérament oisif. Un
crâne quasi chauve était la caracté
ristique de son accoutrement.
Son œil flâneur considérait, tour à
tour, l’immense platitude des champs,
et l’imbroglio de toits, de clochers et
de cheminées qui pointait au dessus de
la ligne monotone et insipide des rem
parts. Peu lui importait la température.
Il ne pleuvait pas, et le soleil était en
grève. Butant parfois contre un pavé,
il s’indignait du piètre état où l’Admi
nistration laissait les routes suburbaines.
Las de passer en revue les arbres rachi
tiques qui s'alignaient à ses côtés, il leva
les bras, s’étira, se coucha, et se dit que
l’heure de la révolution avait sonné.
Il s’endormit, mais son sommeil res
semblait à l’amour ; il ne tarda pas