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ÇA IRA !
Les trams glissent pour quinze cen
times. Une poitrine montre son exca
vation. Une anglaise en taxi. Manivelle.
J'achète un livre. On patine sur glace.
Les valses. Figures. Courbes. Pirouettes.
J'aime les proportions grandioses et •
kilométriques. J'aime la spirale lumineuse.
Au crépuscule, ils sont assis. Ciné.
Les couples plongent silencieusement.
Une auto s'immobilise devant un
bar. Fille d’auberge : convoitise.
La lampe Philips fait zizi. Nuit. 1 -Les
monstres du sommeil attendent.
Paul JOOSTENS.
Fragment
Une frénésie d’écrire s’est emparée
des hommes.
Les livres sont d’un prix inabordable
à bien des bourses ; les idées demandent
une sage distillation pour ne pas être
une banalité ; cependant, mille œuvres
nous tentent et des noms, des noms
toujours, s'imposent.
Dernièrement, M. G. Lecomte expo
sait, au cours d’un intéressant article
paru dans la Revue des deux mondes*
les difficultés sans nombre que ren
contrent écrivains et éditeurs. Hausse
constante sur le papier et la main
d'œuvre. Grèves intermittentes des
imprimeurs. Sabotage du travail. Le
public, en général, se désintéresse des
tentatives jeunes, et des auteurs illustres
sont déjà fort heureux d'obtenir son
attention. Cela s'explique. La lecture
est moins une étude qu'un amusement,
et l’on donne plus volontiers son pécule
aux cinémas qu’aux pauvres gens de
lettres. La parole de Charles IX “ il
faut nourrir les poètes, mais non les
engraisser ” est d'une application una
nime/Nous sommes condamnés à mou
rir dans la misère.
A moins de conter les amours d'un
moteur, ou de narrer les aventures
polaires d'un hydroglisseur, il n'y a plus
moyen -d’être original. Les sentiments
sont tous catalogués ; les plus violentes
passions sont vécues ; les morts subites,
les 1 assassinats et coups de théâtre
similaires sont vieux ; la tâche du scribe
est délicate et le choix d'un sujet est
l’invention la plus compliquée, je pense,
qui soit humaine. Il est possible, à la
rigueur, de violer la langue et d’aligner
des mots intervertis avec un flegme
farceur : cette liberté ne changera pas
la peine, et je m'étonne de ne pas voir
se consumer, sans arrêt, les plumitifs en
quête de nouveauté.
Dans une situation aussi critique,
l'optimisme de nos confrères —• car,
l'assurance de leur talent, l’affirmation
de leur travail, la nécessité de leur
parole constituent un optimisme — est
curieusement admirable. Chaque indi
vidu lettré, sain de corps et, parfois,
d'esprit, veut se joindre au débat. Il
s’agit de définir une atmosphère, de
présider à la réalisation d’un idéal vague
bien que net, ou seulement de s'opposer à
la marche vers le bien, en approuvant
capitalisme, favoritisme, militarisme,
prussianisme, bourgeoisisme et bêtes
également méchantes. Les voix se
pressent, se couvrent, se contredisent.
Le chœur est vaste ; les chefs d’or
chestre pullulent ; il y a des écoles, des
clans, des académies. Toutes ont un
programme, un directeur, un secrétaire
et des adeptes, et cette foule discute,
explique et hurle, pour l'ennui de l'audi
toire. La foire aux sottises est immense ;