ÇA IRA !
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Eh bien ! ce soir, j’ai pris des fleurs,
et je vous les apporte.
Tous mes jours oubliés, que j’ai déjà vécus,
je vous honore des mêmes fleurs très anonymes,
et qui se faneront sur la tombe commune où je veux vous ranger
et qui se faneront, une à une, chaque soir une, sans retour,
et que j’enfouirai, une à une, dans votre mausolée solennel
où vous les accueillerez parmi vous.
Mes jours défunts, mes jours vécus, mes jours aimés,
ce soir, je vous apporte en gerbe, comme des fleurs,
— et pour vous honorer —
tous les espoirs que j’ai en moi, et qui sont toute ma vie,
tous mes jours à venir, que je ne connais pas.
Paul COLIN.
L'Art social et
l'Expressionnisme
Depuis ses origines, l’histoire de la
peinture n’a été qu’une lente mais
tenace évolution vers une absolue
indépendance.
Jusqu’au début du vingtième siècle,
l’art fut un instrument docile, employé
la plupart du temps sans souci de
son but véritable. Des préoccupations
n’ayant aucun rapport avec son essence
inspiraient ses moindres manifestations,
soit qu’elles devaient servir à exalter
le sentiment religieux, soit que leur but
était de consacrer la gloire des puissants
ou simplement de satisfaire les caprices
des soi-disant amateurs.
Il fallut des siècles de luttes et
d’efforts pour délivrer la peinture de cet
humiliant asservissement. Obstinément,
les vrais artistes consacrèrent le meilleur
de leur énergie à conquérir petit à petit
le droit de s’exprimer librement. Ce fut
une longue et difficile besogne d’affran
chissement, sans cesse compromise. Au
19 e siècle, la peinture, qui s’était enfin
libérée de tout souci religieux ou
mythologique, se vit menacée d’un
nouvel esclavage. Le pragmatisme de
l'époque prétendit en faire un moyen
particulièrement efficace à l’éducation
des masses ; et ce fut la luxuriante
floraison de la peinture d’histoire et de
l'art à tendances sociales.Heureusement,
vers la fin du siècle, l’Impressionnisme
rejeta délibérément ces sujets conven
tionnels pour se contenter de peindre
la nature et les aspects fugitifs de la vie
quotidienne. Et lorsque le Cubisme et
les formes d’art qui en dérivent eurent
répudié également cette tyrannique
soumission à l’aspect extérieur des
choses, l’artiste put enfin jouir de cette
indépendance totale, si longtemps vai
nement poursuivie.
Et c’est bien là que réside la princi
pale caractéristique de l’Expressionnisme