ÇA IRA !
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SXQUOSS
cylindre à la coupole. Les chevaux
étaient remplacés par des boîtes puantes,
nommées automobiles. Dans l'azur vrom-
brissaient des perroquets métalliques,
appelés aéroplanes. Un jargon bousculé,
fiévreux, dont je ne parvins à saisir le
sens qu’après de douloureux efforts,
s'était substitué au langage précis de
nos contemporains. Je suis devenu fou.
Avec patience, je rétablirai ma raison
et m'expliquerai ces bouleversements
inombrables. Parmi des gens irrespec
tueux de la tradition et des cerveaux
échauffés au point d'en sauter, je ne
saurai rien sans ordre.
J'étais sans guide.
Je me souvins d'un monsieur du
Patelin, tailleur dont j'appréciai, il y a
trois siècles, l'esprit malin. Je m’informai
de sa demeure et m’y rendis avec l'espoir
d'obtenir un éclaircissement. On m’an
nonça que monsieur du Patelin était
mort depuis deux cents ans, mais que
son petit-fils, le citoyen Casimir Dupa-
telin me recevrait volontiers. On m’in
troduisit dans un salon malsain. Les
murs étaient couverts de papier peint
qui me tournait le cœur. J'étais malade.
Mon sang dégringolait de la tête aux
pieds et remontait des pieds à la tête
avec une vitesse vertigineuse. Mon
moment de quitter cette terre avait
sonné. A deux genoux et le visage
tourné vers la Mecque, j’invoquais le
Saint Pierre Mahomet, quand une cloison
remua, oû un individu mal lavé, sans
perruque, grossier, impudique, m’appa
rut. Il me poussa sous le nez un poing
minuscule en signe de bienvenue. J’étais;
estomaqué (néologisme audacieux). Je
me redressai. Je dévisageai cet imper
tinent infidèle qui m’intimidait à cesser
mon intime introït in Mahomet, et qui
prétendit être Casimir !
Casimir parla comme un cacatoès. Il
m’enduisit d’éloges. Il me gava de
couques dégoûtantes et de boissons
vomitives. Il eut des gestes si véhéments
et si hautains que je ne pouvais me
lasser de l’admirer. Il me dit avec con
viction : “ Camarade, votre visite me
comble de gratitude. Je suis à vos ordres.
Ma joie est colossale. Vous êtes mieux
qu’un intellectuel ; vous êtes un persan.
Je suis poète ; je suis une gloire. Voici
mes œuvres (il chargea mes bras de
livres, de brochures et de journaux).
Portez mon salut à vos frères et accla
mez, en mon nom, leur vaillante litté
rature. „
Ce gendelettre était délicieux. En le
quittant, je nourrissais à son égard les
meilleurs sentiments.
J'allai souvent chez lui, et j’appris plus
de sottises que cervelle humaine n’en
peut contenir. Leur récit est intermi
nable.
Casimir Dupatelin vit entre des pan
neaux bariolés et des statuettes difformes
appartenant à l’art futuriste. Je n'osai
pas lui demander pourquoi, mais il me
semblait impropable qu’un combat de
coqs avait une similitude avec un nau
frage de sous-marin ; qu’un portrait de
femme et une compote de prunes étaient
parents ; qu’un pavé affreux perpétuait
l'image d’un grand homme.
Il fume de pesants rouleaux de tabacs
(cigares ?) et dévore des ouvrages
incompréhensibles (drames dada), s’il
n'est pas accroché à un appareil immoral
où il crie des discours hachés (téléphone),
li se couche à l’aube et s’éveille la nuit.
Alors, il sê faufile parmi des éclairs et