Volltext: Ça ira (5 = 1920, août)

ÇA IRA ! 
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Un Névropathe 
Ce jour-là le jeune Pierre Lortie s'était 
senti la tête plus vide qu’à l’ordinaire. 
Il avait relégué tous ses livres dans un 
coin et, languissant, s’était étendu sur un 
divan au milieu de son paisible studio. 
Il avait une main sous la nuque et de 
l’autre il tenait une cigarette, mais en 
vain il cherchait à s’évader de la réalité 
<• 
pour se réfugier dans les fumées du rêve. 
Il se sentait incapable de penser à quelque 
chose et il balançait mollement la jambe 
sur un genou levé, en s’amusant à 
accompagner le tic-tac de la vieille 
horloge, dont le balancier poussif oscil 
lait inlassablement dans sa caisse de 
chêne vermoulu. 
Ce que la vieille horloge ne se lassait 
pas de raconter à Pierre Lortie, vous le 
devinez. Elle l’exhortait à régler davan 
tage sa vie, mais le jeune homme ne 
mettait point à profit un si sage conseil. 
Au contraire, il considérait amèrement 
les deux aiguilles, comme s’il lisait au 
cadran de sa propre existence .où des 
minutes de plaisir se précipitaient sur 
des heures d’ennui. Pierre Lortie était 
en proie à un désœuvrement morbide. 
Plus rien ne lui goûtait. Il jeta sa ciga- 
rettte en murmurant : Chienne de vie. 
Pierre Lortie était un jeune homme 
de lettres dont le nom n’est probable 
ment pas encore parvenu jusqu’à vous 
et Dieu sait s’il y parviendra jamais, car 
Pierre Lortie était absolument dépourvu 
de confiance en soi. Il ne se faisait plus 
guère d’illusion sur ses capacités. Tout 
jeune il avait affecté sa vie à la carrière 
des lettres et aujourd’hui c’était devenu 
un jeune homme narquois et dissipé qui 
estimait qu’il ne faut coucher par écrit 
que les choses qui ne tiennent pas 
debout. Il préparait un volume sous le 
titre : “ Ratés et dératés „. 
Son ami Hyppolite Chardon le lui 
répétait bien souvent : “Tu n’es pas 
malin. Ce qu’il te faudrait, c’est un 
emploi, un de ces emplois qui te laisserait 
des loisirs. Tu t’adonnerais moins à la 
mollesse et davantage à tes travaux et, 
en outre, tu ne serais pas perpétuellement 
à court d’argent. C’était facile à dire. 
Partout où Pierre Lortie s’adressait, le 
visage souriant sous une touffe de che 
veux, son ineptie en toutes choses 
éclatait aux yeux de chacun et on pre 
nait soin de l’éconduire. Pierre n’avait 
qu’un refuge, é’était la littérature, mais 
il y avait des jours comme celui-ci où il 
n’était pas en humeur d’écrire. 
Pour passer le temps, il s’était mis à 
songer à sa. bonne amie. Elle s’appelait 
Angèle Doublair. Voici des mois qu’il 
s’était lié avec elle et tous les jours il 
recevait d’elle des lettres d’amour défail 
lantes où elle lui assignait des ren 
dez-vous identiques. Pierre s’y rendait 
machinalement. Il la conduisait dans un 
endroit écarté et là, ils échangeaient 
pendant des heures, des baisers incen 
diaires. Parfois c'ela le remplissait d’aise, 
mais à la longue il s’en importunait. 
Angèle était une bonne nature. Elle 
Se pâmait volontiers dans les bras de ce 
jeune homme railleur et frêle. Elle lui 
autorisait toutes les caresses, pourvu 
qu’elle ne dût pas se donner conformé 
ment aux lois de la nature, car elle vou 
lait éviter les catastrophes et demeurer 
en état de virginité. 
Pierre Lortie était un cérébral doublé 
d’une âme faible. Son imagination lui 
joua le tour de lui représenter Angèle
	        
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