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signe d’aspect cabalistique qui m’a fort impressionné durant mon enfance et dont j’ai dix
fois redemandé la signification ne me contentant jamais de la réponse très raisonnable
qui m’était faite et aux termes de laquelle il s’agissait des initiales des personnes à qui
ce mobilier avait été racheté. 11 me semble cependant avoir aperçu le monogramme plus
récemment, et en effet je ne tardai pas à me souvenir (mais cette recherche mit fin à
l’association) que j’avais remarqué la veille un dessin à peine différent présenté comme
une graphie condensée du monosyllabe sacré AUM dans l’ouvrage de René Guénon Le
Roi du Monde, dont j’avais voulu comparer l’impression à celle du livre que j’étais sur
le point d’envoyer à cette dame dont je viens de parler et dont précisément les initiales
étaient W et M.
Il me plaît qu’il n’y ait rien là qui excède l’expérience la plus banale : il n’en devient
que plus important de rendre compte de la représentation inattendue qui survint tellement
à point pour unir les autres éléments et à quoi je n’ai pu retrouver nul substrat précis, si
profondément que j’ai interrogé ma mémoire. Certes, il peut toujours s’agir d’un souvenir
de rêve non identifié ou de quelque image hypermnésique déformée et dojit la déforma
tion d’ailleurs ne laisserait pas d’être significative (1). Il semble beaucoup plus écono
mique de supposer qu’il y eut là en quelque sorte cristallisation idéogrannnatique (et,
dans le cas> particulier, de caractère tant soit peu hallucinatoire) destinée à associer les
multiples recoupements qui se sont fait jour aussitôt et dont la seule existence déterminait
et impliquait le contenu, lui assignant comme propriété nécessaire et suffisante d’expliciter
tant par la perception que par la réflexion le fait qu’un M renversé est un W et de pré-
senter en même temps réunis les deux signes. Quant au mot de cristallisation, il n’est
nullement pris au hasard : comment en effet ne pas s’apercevoir que la bizarre situation
de ces images entre la virtualité et la réalité, leur existence latente et en quelque sorte
en solution est analogue à ces états si instables étudiés en chimie sous le nom de phéno
mènes de sur saturation, où à une excitation minime, mais bien définie, se condense et
apparaît comme s’il surgissait de rien un précipité de l’invisible substance dissoute? Mais
au lieu d’étendre la comparaison aux circonstances de production (ici, élévation de tem
pérature et refroidissement lent; là, émotions accumulées et apaisées) dont la courbe est
sensiblement identique, il est sans doute plus sage d’attirer l’attention sur la facilité avec
laquelle de telles analogies deviennent spécieuses quand on leur demande plus que les
modestes et empiriques services d’éclaircissement réciproque qu’elles peuvent rendre.
En somme, je me tiendrai pour satisfait pour peu que l’analyse précédente ait jeté
quelque lumière sur la façon dont la pensée lyrique peut remplir sa fonction systéma
tisante. Aussi la valeur des synthèses qu’on lui a vu effectuer se laisserait mesurer au moins
approximativement. On est en présence d’un effort irréductible vers cette parfaite lucidité
affective, dont les conséquences, si imprévisibles qu’elles soient, ne sauraient être que
très grandes et qu’on ne discréditerait pas sans se discréditer du même coup. L’activité
dite poétique, appuyée sur la surdétermination objective de l’univers était viable; surdé
termination elle-même, et des plus efficaces dans son domaine, elle n’y paraît maintenant
ni remplaçable, ni, dans la mesure où elle est exercée comme il faut, c’est-à-dire dans une
attitude méthodique et non esthétique, dénuée de validité (1). Il résulte que le profit
(1) Je fais allusion au fait que quelques jours plus tard, et à propos de tout autre
chose, j’ai eu à penser que j’avais lu, étant enfant, dans un journal illustré, l’histoire d’un
certain Ismaïl le Bulgare, qui sculptait avec un poignard une croix dans la main de ses
prisonniers. Il se peut que l’image de la main ait été fournie par une réminiscence de cette
torture, encore que la disposition des doigts eux-mêmes en M. et le fait que cette lettre
i
est en même temps l’initiale du mot main suffisent à surdéterminer l’apparition de cette
dernière.
(1) Ces considérations caractérisent assez bien ma position dans le surréalisme. Dési
reux de les situer de façon précise, par exemple vis-à-vis des idées exprimées dans le
Manifeste du Surréalisme, je les rapprocherai volontiers des lignes suivantes : « L’esprit