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LES L
Léon TROTSKY — Histoire de
la Révolution russe (Ed. Rieder)
Les partisans du conservatisme social, à la
seule audition du nom de Trotzky sont pris
de convulsions et écument comme des flics
enragés. Depuis Lénine, nul plus que lui
n’a eu le don, à mes yeux supérieurement
significatif, de faire converger sur sa per
sonne la haine sans cesse renouvelée de tous
ceux dont la misère d’autrui est l’unique
source de prospérité. L’abjecte et stupide
image de « l’homme au couteau entre les
dents » porte, pour le Français moyen à
qui M. Yautel tient lieu d’appareil à ré
fléchir, le nom de Trotzky comme légende.
Une telle haine ne peut que le faire sourire
en lui rappelant Lénine qui, dans les cris
de ses adversaires de classe, avait la certi
tude de voir juste. On pourrait s’étonner
qu’à ces hurlements trop attendus se joi
gnent les injures imprudentes de ceux qui
furent ses compagnons de 1917 et font en
core profession de révolutionnaires avertis.
Cependant l’exilé de 1934 est, sans con
teste, le même homme que le président du
premier soviet que l’histoire du monde ait
connu. La cause à laquelle il a consacré
toute son existence est encore sa première
raison de vivre. Dans « 1905 » comme dans
l'Histoire de la Révolution russe, il défend
les mêmes idées, la même idée devrais-je
dire, celle qui lui vaut la colère de ses enne
mis de toujours et de révolutionnaires d’hier
— aujourd’hui champions inconsidérés d’un
conservatisme social étendu à l’échelle in
ternationale. Je veux parler de la révolution
permanente. En effet, on ne peut pas douter
un seul instant que cette formule sous le si
gne de laquelle s’est accomplie la révolution
d’octobre, bien qu’elle restât sous-entendue,
s’oppose directement aux théories officielles
de la III e Internationale affirmant que le
socialisme se construit en U.R.S.S. cepen
dant que l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie,
par exemple, voient le fascisme triompher.
Sans parler de la France où il s’apprête à
prendre le pouvoir. « La pensée humaine
est conservatrice et celle des révolutionnai
res parfois plus particulièrement » (1), note
Trotzky. Le sort fait à la révolution per-
V R E S
manente suffirait à démontrer la justesse de
celle assertion, sans qu’il soit nécessaire d’in
voquer la crise révolutionnaire qui secoua
toute l’Europe après la guerre et faillit em
porter le régime capitaliste. Dans VHistoire
de la Révolution russe, Trotzky, après avoir
analysé et exposé la situation qui précéda
immédiatement la chute du tzarisme, puis
cette chute même, s’arrête longuement, dans
le deuxième tome, à la discussion qui suivit
l’arrivée de Lénine à Pétrograd. C’est là que
pour lui se situe l’axe de la révolution rus
se : dans le passage effectué par Lénine,
de la « révolution démocratique-bourgeoi-
sc » à la « dictature du prolétariat », consi
dérée jusqu'alors par l’ensemble du parti
bolcheviste comme une entreprise aventu
reuse. L’auteur note à ce propos, se référant
à de nombreux témoignages, que les diri
geants du parti bolchevik et jusqu’aux inti
mes de Lénine se trouvèrent un moment en
opposition avec lui. Fallait-il stabiliser la
révolution de février — qui venait de créer
un régime de double pouvoir contrôlé en
fait par la bourgeoisie — ou fallait-il orien
ter le prolétariat vers la réalisation de ses
propres objectifs. On sait que l’opinion de
Lénine prévalut et que la dictature du pro
létariat entra dans le programme bolchevik.
Les « journées de juillet ». La préparation
et le début. Les « journées de juillet ».
Le point culminant de Vécroulemcnt. Les
bolcheviks pouvaient-ils prendre le pouvoir
en juillet ? — Le jnois de la grande calom
nie. — La contre-révolution relève la tête. —
Kerensky cl Kornilov. — Les éléments de
bonapartisme dans la révolution russe. —
La conférence d'Etat à Moscou. — Le com
plot de Kerensky. — Le soulèvement de
Kornilov. — La bourgeoisie se mesure avec
la démocratie. — Les masses exposées aux
coups. — Marée montante. — Les bolche
viks et les soviets. — La dernière coalition.
Tels sont les chapitres du troisième tome de
cet ouvrage qui s’arrête à la veille de la ré
volution d’octobre. Le problème capital du
front unique y est exposé avec la solution
(1) Histoire de la Révolution russe, t. II,
p. 138,