Si les mots sont des signes
ou
«Jacob Cow le Finale ( "
(Fin)
V. JACOB COW LE PIRATE.
Mac Orlan avait coutume de raconter qu’étant
tombé, avec ses marins et ses nègres, aux mains de Cow,
ce pirate les fit ranger sur le pont. Il passait ensuite de l’un
à l’autre :
« Comment t’appelles-tu ?
— Dick Smith, de Chicago.
— Bien. A la mer ! »
On jette Dick Smith. Quand’c’est au tour de Mac Orlan :
«Je m’appelle Jacob iCow », dit-il.
Alors, tant est grande la terreur que ce nom inspire, Jacob
Cow lui-même regagne en hâte son bateau corsaire, fait
larguer les voiles et disparaît.
Nous en usons avec les mots comme si Jacob Cow
à chaque fois devait s’enfuir. Aussi bien est-il des termes
défendus, ceux qui touchent aux diables et aux bêtes dange
reuses. Belette n’offre qu’un compliment : petite belle
l’autre nom étant égaré. Les anciennes maladies qui revien
nent, c’est sous de nouveaux mots: la censure, l’an dernier,
interdisait que l’on parlât de peste. Et les jeunes filles,
à qui l’on parle la première fois, refusent de nous aban
donner leurs noms (redoutant de donner ainsi quelque
prise sur elles). « Je n’avais jamais eu le cafard, dit Alcée,
avant de connaître le mot». Etrange exigence, à tout
moment menacée, à tout moment maintenue: nous ne sup
porterions plus de parler, faut-il croire, si les mots un
instant cessaient d’être les choses mêmes.
Cow cependant, dans le vrai ne s’enfuit pas.
Béril ne se laisse pas séduire à la rime, non plus qu’à la
réclame du sucre. «Ils nous achètent», pense-t-il.
(1) Voir les n os 14 et 15.