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doit remarquer pour tel, au point qu’il convient de dire que
les gens parlent et s’expriment contre ce langage — au lieu
que ce soit par lui.
Tel homme pratique estime*
que l’humanité, dans son ensemble, est composée de canail
les; il ajoute que chaque canaille est bonne à quelque chose,
quand on sait la prendre. Or notre idée du signe relève»
d’une sagesse de même ordre. Je veux qu’elle nous évite de
lourdes déceptions: tout de même, trop défiante, soucieuse
toujours d’imaginer le pire, elle néglige la première res
source des mots, leur naïve ressource.
*
* *
(Ces deux hommes qui se rencontrent, et disent :
« Comment ça va ? — Ah, Sadoul a été condamné à mort »,
ou cette jeune femme à son ami: « On m’appelle qui ? —
Georgette chère, Georgette en or — L’avare ! Pas plus ? »,
il faut admirer à quelle réalité leur langage du premier coup
atteint. Où les œuvres littéraires, qui devraient prétendre
à une réalité voisine, ou plus indépendante encore, cepen
dant semblent hésitantes, et comme effacées, l’on insinuera
que c’est pour avoir trop facilement accepté comme idéal
cet état du langage le plus faible, où les mots à chaque
moment font signe de nous manquer,
et le seul dont tiennent compte
les doctrines suivant lesquelles l’écrivain exprime les
choses, ou s’exprime lui-même, la sincérité est sa vertu
maîtresse et l’émotion son état de grâce, plus elle est
intense, et, dit-on, personnelle quelques autres
encore...)
Jean PAULHAN.