L’ŒUF DUR
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0 les moments inestimables,
Tous les moments de la journée,
Instants fuyants et impalpables
Qu'on n'a jamais pu arrêter.
Ce que je fus ? Ce que je suis ?
Instants hideux, minutes belles,
Qu'importe cela est fini :
Je meurs d'une mort continuelle
Regrets de ce qu'on a pas fait,
Remords des jouissances manquées,
Etreinte, angoisse du jamais,
Serrement de cœur du passé
C'est comme sur les quais des gares
Quand l'être cher s'en est parti
Et que l'affreux remords s'empare
De notre cœur endolori.
Remords bienfaisants, salutaires
Des beaux désirs inassouvis,
Sanglots sur la mort, ô misère
D'avoir perdu un peu de vie... !
Hégêsias a peut-être raison,
Hommes coupez vos sexes forts !
Femmes frappez vos flancs féconds
Pour que-nous délivre la mort !
Mais il est peut-être plus beau
De travailler dans le néant
Et rejettant les idéaux
Toujours de chercher cependant
Car il est beau, malgré la mort
Toujours suspendue sur nos têtes,
Vers aucun but de faire effort
N'envisageant pas de conquête
Dans le temple des vieux dieux morts
Où nul écho ne vibre plus
Mes compagnons sanglottent encor
Sur le passé qu'ils ont perdu !