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MÉMOIRES D’UN DADA BESOGNEUX
de leur pantalon, dont les couleurs étaient
fort semblables, un veston qui paraissait
avoir été coupé par le même tailleur, une
cravate qu’on eût dit avoir été ravie à la
même pièce de satin; et toutes ces choses
eussent été d’ailleurs transportées sur les
jambes, sur le dos et la gorge de leurs
voisins qu’il eût été impossible de le
remarquer. Elles étaient interchangeables.
Ils n’en restaient pas moins des exilés, des
hommes uniques en leur espèce. Et même
cette communauté de sort et d’infortune
ne les rendit point d’abord plus commu
nicatifs. Longtemps ils gardèrent le silence
devant les nourritures, longtemps ils firent
mine de s’ignorer. Ce ne fut qu’au mo
ment où la courtoisie leur imposa de s’of
frir mutuellement des cigarettes que la
glace fut rompue. Malgré toute l’attention
qu’il mettait à se conduire comme un vé
ritable Européen, Ouang-Ouei ne put
s’empêcher de joindre les deux poings
pour remercier en saluant, à la mode de