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L’ŒUF DUR
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MAURICE DAVID
Omphale
Le rouet d’Omphale.
Il avait accompagné Suzanne à ses adieux. Elle allait à Gha-
monix concourir pour le saut en ski. Lui invité à Cannes, ne
s’était pas décidé à partir : il craignait de trop envier les religieux
de Saint-Honorat, et cela ne lui paraissait pas désirable, ni, à
cause de ses amies, pur.
Pourtant, entre ses livres, il songeait à des voyages. —■ « Rien
n’est beau comme l’en allée des trains rapides » et il revoyait
sur les quais les bêtes de luxe dans leurs fourrures, toutes rousses
parce qu’il avait plu de l’eau oxygénée sur Paris, souples, un
peu épaisses à côté des grands hommes qui les emmenaient.
Puis les vitres des wagons se décomposaient en plages peuplées
de sable et de sirènes — il caressait la queue des sirènes — ou
en montagnes à précipices dont on effrayerait l’imagination
des femmes pour les pousser à jouer au bridge à leur pied.
— L’invitation au voyage a quelque chose de suranné ; mais
je partirais bien pour me reconnaître partout. Et que non, même !
mais il y a le wagon restaurant, la place retenue et les cactus
des petites gares du sud. Je pars.
Et comme il terminait l’emplissage méthodique de ses valises,
elles sont très légères, en fibre de bois, les vantait-il toujours,
Anne-Marie sonna, entra par la porte ouverte.
— André !
— C’est moi.
— Oui, je sais, j’ai ma licence de langues. Mais vous voulez
quitter Paris ?
Il chercha une longue phrase insolente.
— Pourquoi pas ?
Anne-Marie conspua les valises comme une chatte, et sautant
sur la table, s’y assit tout au bord.
— Voilà ! Et moi qui marie ma sœur dans trois semaines,
moi qui ai à choisir trois robes et à me montrer au Paon-Royal
et au Pré-Catelan, je vais demeurer seule ici.
— Mais vous avez votre mère et vos amies et amis.
— Mes amies ! Elles sont toutes lesbiennes ; c’est très moral,
mais ça me dégoûterait de me déshabiller devant elles chez Poiré.