Full text: L'oeuf dur (11)

L’ŒUF DUR 
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Quant à mes jeunes gens, ils sont bêtes et laids ; je risque 
d’épouser n’importe lequel d’entre eux. Vous pas. 
— Vous ne m’aimez pas ? 
— Oui, je vous aime, mais pas à la mairie. 
Il posa ses lèvres sur le bout de son pied. Anne-Marie se secoua 
pour qu’il ne les y laissât pas, et par indifférence récita : 
« Semblables à ces eaux si pures et si belles 
Qui coulent sans effort des sources naturelles. » 
André avait clos ses valises. Il cria soudain « au revoir » et 
courut vers la porte. Mais Anne-Marie y était avant lui. 
C’est du Molière, Monsieur, vous n’avez pas à fuir. D’abord, 
je sais pourquoi vous partez. Les aloès du Trayas et d’Anthéor 
vous tentent. Stupidité. Quand vous étiez petit, vous n’aimiez 
pas l’aloès dont votre mère enduisait vos ongles. Vous n’avez 
pas le droit d’avoir changé. 
— Mais ce ne sont pas des aloès. 
— Ne m’interrompez pas ! Je n’ai pas envie de mentir et 
vous n’avez même pas mûri vos idées de voyage. Il y a tellement 
de trains rapides dans tous les sens maintenant, qu’on n’est jamais 
bien sûr d’être parti, puisqu’on peut aussitôt rentrer chez soi. 
Ca ne vaut pas la peine, n’est-ce pas ? Accompagnez-moi plutôt 
au Vieux-Colombier. On y joue Phèdre, ce soir. 
André murmura : 
— Omphale... 
Elle se sentit surprise, puis comprenant : 
— Oui, la rouée... Ecoutez, André, je vous pardonne, mais 
je ne veux pas que vous quittiez Paris cet hiver. 
Et elle s’avança vers lui, un peu plus petite que lui, s’approcha 
beaucoup, lui mit les bras autour du cou, leva son visage très 
doucement et lui tendit sa bouche. 
— Vous savez, André, je suis une vraie jeune fille. C’est mon 
premier baiser. Je serai très gentille, je vous permettrai tout, 
absolument tout. Et après, si vous en avez envie, vous vous 
marierez avec moi. Taisez-vous. Lisez-moi du Mallarmé. 
Alors André, l’ayant installée dans un fauteuil bas, près du 
feu de bois, s’accroupit sur un coussin noir à ses pieds et com 
mença à psalmodier : 
« Le soleil sur le sable, ô lutteuse endormie 
En l'or de tes cheveux, chauffe un bain langoureux. » 
Elle avait des cheveux à peine bruns, que la flamme désor- 
donnait dans de l’or. 
Omphale. Omphale.
	        
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