L’ŒUF DUR
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fort en qui elle a suspendu son bonheur et ses espoirs. Il parle
plusieurs langues. Sa large poitrine supporte d’aussi vastes offran
des. A la Bourse, son petit doigt commande pareillement à une
mine d’or au Cap, à un puits de pétrole dans le Caucase, à un
chemin de fer d’intérêt local dans les Deux-Charentes. Marie-
Louise en tire une légitime fierté.
Pour moi, je n’ai d’elle que la trace de ses pieds nus dans les
soies molles et tendres qui sont au bas de son lit. Elle m’aban
donne avec nonchalance quelques gestes de son corps. Je les
recueille au creux de mes mains, honteux pétales dorés, petites
perles tombées de sa robe. Jolis airs désintéressés, le sourire est
notre seul hymne national. Je sais d’autres religions, où l’on ne
parie jamais de Dieu.
Un jour je lui ai dit : « Nous ferions un beau couple » et comme
je suis bossu elle a été vexée. Mon amour même plié en quatre
empêcherait-il la princesse de dormir au haut de ses cent matelas ?
(avec vos chaussettes de soie faites une échelle de corde.)
Un concours de circonstances : «Marie-Louise, et si, nos baisers,
nous leur accordions le temps qu’ils méritent, si nous laissions
nos gestes remplir les harmonies, nos voix devenir graves et
chantantes ? Si, las de vous livrer le meilleur de nous mêmes
(des pulpes si exiguës), nous cognions nos genoux tremblants,
nos tempes moites, nos dents serrées et froides ? Nous avons
échangé des hasards ciselés, des fleurs parfumées de nos cein
tures, de si faciles perfections et baisers vus dans le miroir.
C’étaient de trop maigres cadeaux. Et quel jeu trouble, quand on
y songe. Communions tout entiers.»
Marie-Louise émue, le bracelet d’or s’entr’ouvre et tombe
dans la confiture de groseilles. Les murs ont cessé de jouer aux
quatre coins : un véritable défilé d’anges !
Les deux enfants s’en reviennent, le cœur gros, dans l’impasse.
La merveilleuse contrée aux mangues d’or et aux oiseaux des
iles était peinte sur une toile de fond (quel souci du décor !),
ils ont touché le mur du doigt. Les autres jours ils lui faisaient
confiance.
Je pense même que c’est en revenant ainsi qu’ils ont rencontré
le gros polieeman nègre et lui ont demandé la meilleure confiserie
de la ville. Le policeman du bout de son bâton leur indique :
« la seconde rue transversale à droite et à gauche. » C’est là
que l’auto du directeur a rencontré les deux emants devenus
trois et les a écrasés, trois grosses framboises dans la neige.
Ou bien : nos cœurs forcés de dire la vérité éclatent en grosses
fleurs rouges qui en touchant le sol deviennent des coussins.
Le docteur monte pesamment l’escalier de bois en s’éclairant
le visage « Les marches, dit-il, sont molles comme de l’ouate
et chaque pas s’y enfonce. » Ses pieds pourtant sont en sang.
Marie-Louise est étendue sur le tapis, largement vierge'promise.