Volltext: 5(1924), Janv.-Fév. = Nr. 35 (35)

DRIEU LA ROCHELLE 
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il avait tourné le dos, avec cette excuse que s’il avait envie d’être un 
héros tous les trente-six du mois, il ne pouvait supporter d’être un soldat 
tous les jours. Ce soir-là, dans ce bistrot, il faisait feu des quatre pieds 
comme une Rossinante qui aurait pris son maître au sérieux. Il nous 
replaçait sa rhapsodie : « Je suis saoul comme ce tank que j’ai vu un 
jour d’attaque. Je dérape, je suis sur le flanc, une fois de plus je me 
planque. J’ai raté ma mort, j’étais fait pour mourir à Charleroi en 1914. 
j’étais fait pour charger tout en fer à Crécy et perdre la bataille. Vous 
vous boyautez en me regardant, je vous parais un ivrogne peu efficace 
et qui vomit sa littérature, mais je voudrais vous dire quelque chose. 
Tout de même on y a été, il n’y a pas à sortir de là, mes petits gars. 
On l’a faite, et comment ! Il y a tout de même des mots qui ne sont plus 
des mots, qui sont des faits. Faim, froid, sang, merde. Vous avez beau 
rigoler, vous ne me retirerez pas que vous avez donné dans ce fameux 
panneau. Et ce ne fut pas seulement à votre premier combat que vous 
eûtes le feu dans le sang. On vous a rattrapés à d'autres tournants, et 
à la sortie des abattoirs, vous aviez froid dans le dos en défilant devant 
le général, avec son feuillage d’or et son cheval. Tas de soudards, on 
vous a eus! Un signe du chef, et ça court sur une mitrailleuse. Vous 
pouvez crâner, maintenant! » 
Le ton d’Ablain était insupportable. Au contact des soldats, pour 
leur plaire, il avait pris un accent traînard, dont l’affectation m’inquié 
tait d’abord, m’exaspérait ensuite. 
Ablain semblait fort sensible aux approbations de La Marche qui 
le fascinait par les étoiles de sa Croix de Guerre. Lui, le pauvre Ablain, 
à cause de l’extrême agitation de sa carrière militaire, n'avait décroché 
qu’un insigne étranger. 
La Marche qui avait bu plus que nous tous, gardait son aplomb, 
mais je remarquais qu’il était soulevé par cette éloquence qui, pour 
s’humilier en bonne pocharde, n’en était pas moins pleine de bluff et 
d’infâmes gaudrioles.
	        
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