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NOUS FUMES SURPRIS
Il partit avec Imperia. Elle oubliait la vieille femme qui l’entretenait
et qui l’attendait à la maison.
a
Vers le mois d’avril, j’avais cessé d’être soldat et je me promenais
sur la Côte d’Azur, pas fier. A Cannes, un matin, je me jetai dans les
jupes d’une infirmière-major que j’avais connue quelque part. Elle me
fit la plaisanterie de m’inviter à voir ses blessés, l’après-midi. « J’ai
un délicieux lieutenant de tanks, que vous devez sûrement connaître :
Guy La Marche. »
Après m’avoir exhibé quelques paysans bretons et sénégalais, les
derniers figurants qu’on avait pu ramasser pour la représentation d’adieu,
sans frapper, elle ouvrit la porte de La Marche, qui était dans les
bras d’une sorte de jeune homme. Elle ignorait ces choses et continua
de les ignorer. Je regardai le gamin qui, après les présentations, s’était
rassis en pinçant les lèvres : un personnage conventionnel, n’en parlons
pas. La Marche était gêné ; moi, je devins triste. Cette chambre sen
tait la mort, une mort qui puait un parfum à la mode. Il prit sur la
table de nuit, entre le revolver d’ordonnance et le narcotique, un livre
d’Ablain qui venait de paraître. Pour établir une communication entre
nous par-dessus la tête de ce tiers, qui était habillé en artilleur lourd, il
me parla de ces poèmes de guerre. Il ne fit que me déplaire.
Ce fut, une fois de plus, l’ennui de surprendre quelqu’un, dont on
espérait qu’il ne pouvait tirer ses pensées que de soi, comme jadis un
bonhomme tirait de sa cave le vin de sa vigne, courir emprunter des
mots et à n’importe qui. Et quelle gêne de voir un gaillard, dont le
corps est sûr en ses gestes, tomber dans tous les traquenards du faux
esprit et montrer un jugement boiteux.
La Marche avait fait la guerre avec générosité mais, à cause du
faux artilleur, il n’osait pas les mots simples qui auraient été brefs et
durs. Je m’aperçus qu’il nous ménageait l’un et l’autre. Ses paroles