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NOUS FUMES SURFRIS
sortaient à peine de la solitude ; entre deux bois d’oliviers, on apercevait
un homme dans l’éclat du zinc et des bouteilles multicolores, soule
vant un verre.
Nous quittâmes la région des eucalyptus qui sentent fort parmi les
lambeaux de leur écorce. Ce fut la région élevée et désertique qui en
toure Marseille, Afrique déjà austère, pas encore secrète.
Nous entrâmes dans la ville où, parmi le sommeil et la mort, les ciné
mas prolongeaient une vie mondiale, faite de sottes amours, de cérémo
nies mesquines et des bonds de la jeunesse américaine.
Nous arrivions forts, presque menaçants; dans d’autres circonstances,
nous aurions pu conquérir cette ville. Ce soir-là, nous aurions dû nous
coucher. Nous allâmes au Vieux Port. Nous bûmes parmi des femmes
dont la nudité était un artifice. Elles fumaient, elles lisaient des romans,
elles cousaient, elles parlaient de leurs rêves. Bien que courtoises, elles
ne nous trouvèrent pas gais. Avec d’autres, elles auraient été une der
nière fois des filles de joie. Nous les laissâmes.
La Marche portait sur son épaule le foutriquet. Il le jeta en travers
de son lit. Je les perdais de vue. J’entrai dans ma chambre, je pris un
bain froid, je me couchai et m’endormis.
a
Le 1 er mai 1919, je me baguenaudais dans les rues de Paris, avec
Ablain. Nous attendions la dernière minute pour nous décider entre
la révolution et la réaction. Il n’y eut rien d’éclatant. Une lente réaction,
commencée en Europe depuis plusieurs années, continua ce jour-là
comme les autres, et passa inaperçue de nos yeux inexperts.
Nous nous étions arrêtés, déçus, au bord d’un trottoir. Un formi
dable coup de trompe vint nous émouvoir. Un autobus s’arrête, devant
la pointe de nos pieds.
Nous levons les yeux : Guy La Marche est au volant. Nous mon
tons dans l’autobus. A deux cents mètres de là, arrêt brusque. De la