DRIEU LÀ ROCHELLE
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plate-forme, nous apercevons La Marche qui dégringole de son siège.
Alors que nous sommes descendus nous-mêmes, il nous heurte, il nous
écarte en jurant et court vers un charretier qui s’éloigne en brandissant
son fouet contre lui. La Marche, à une correcte allure, les coudes au
corps, rejoint l’homme en quelques foulées, et d’une seule poignée, le
descend de son siège. Il s’écarte un peu, prend position, allonge le bras et
le met par terre.
Pendant ce temps, nos pieds nous ont portés jusqu’au point de chute.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
A une pommette de La Marche, un bref trait blanc sur fond rouge.
— Le salaudI il m’a foutu un coup de fouet en passant. Ah! mon
salaud, va !
II est ravi. Ablain, tout ému, a un geste gauche pour relever l’homme
qui est ivre.
Arrivent des gardes municipaux. Nous sommes dans un quartier
bourgeois; une petite foule leur conseille vivement de mettre en boîte
cet ivrogne justement corrigé, car il est plus saoul d’idées que de vin.
Quant à La Marche, on le laissa partir, après qu’on l’eût pris en note.
Comme c’était son dernier voyage, rieur, il nous proposa de l’at
tendre à la sortie du dépôt et de l’accompagner chez le commissaire.
— Je voudrais voir ce qu’ils vont faire de mon type. S’ils le repas
sent à tabac, le pauvre vieux!
Le commissaire reçut, sans aucune bienveillance, notre ami que nous
suivions avec admiration. Ce jeune richard, infatué de s’être promené
dans la guerre, pourquoi se mêlait-il de défendre l’ordre ? Qu’il en pro
fitât, c’était tout ce qu’on lui demandait. Mais Ablain cita des noms
imposants et, comme il demandait, soudain hostile à la police, l’élar
gissement de son bonhomme, il l’obtint.
Le charretier était dégonflé; dans la rue, il nous regardait avec mé
fiance et ahurissement. Mais il était bien content d’être sorti du lieu
de supplice vers quoi ne le portait plus aucune ardeur.
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