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NOUS FUMES SURPRIS
— Avoue que c’est vache, ce que tu as fait, lui dit La Marche.
On ne fout pas des coups de fouet à un homme... et sans prévenir
encore... et puis en se débinant après.
— Ben, oui, mais ce n’est pas votre métier.
— Ce n’est pas une raison pour me fouetter.
— Ben, oui; mais vous ne faites pas votre métier. Pourquoi que
vous vous mêlez de ce qui ne vous regarde pas?
— Mais si, mon vieux, ça me regarde.
— Faut laisser les travailleurs.
— Vous laissez tout tomber.
La Marche, pendant cette discussion, opposait tant bien que mal
des bouts d’arguments tirés de son journal à ceux que son adversaire
tirait du sien. Mais ses manières étaient aisées, même ce tutoiement qui
m’était pénible. L’autre s’amadouait.
Nous le laissâmes surpris de ce Premier Mai soudain rempli par une
expérience et non par des mots.
Ensuite Guy me prodigua ses opinions. Je tâchais de les démêler.
Guy était réactionnaire. Du moins, le croyait-il. Et c’était vrai dans
le sens intermittent du mot. Il était aussi incapable de manifester ses
préférences profondes par des actes suivis et réglés que de les renier
par un geste délibéré. Si relâché qu’il parût au courant des jours, on
s’apercevait de temps à autre qu’il était encore attaché aux principes
qui avaient nourri ses parents. Il réagissait selon ces principes par un
instinct affaibli aux seules possibilités de la défense, dans des cas isolés
et parfaitement contradictoires avec d’autres cas où il ne se montrait
nullement conséquent avec ses origines, mais où n’ayant d’autres guides
que ses sens en désordre, il s’engageait dans des voies dangereuses,
comme un aveugle rebelle et perdu qui ne voudrait plus se fier qu’au
son que fait sourdre sa canne d’un mur délicieux.
Ce qu’il y avait de certain, c’est qu’engoncé de telle manière, il ne
pouvait prononcer ni supporter une parole qui touchât à un ordre