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NOOS FUMES SURPRIS
saluent ces hordes fragiles avec qui la République, pour remplacer ses
enfants morts ou jamais nés, remplit d’un nombre trompeur des armées
plus grandes que son désir de vivre.
Boum! Boum! Des coups de canon. Pour finir la fête, la petite
guerre. A côté de moi, Guy bégaye, la gorge serrée par la honte :
« La guéguerre. » Qu’est-ce que vous voulez, La Marche? On ne
peut pas célébrer la vraie, dont il n’ont même pas entendu parler; il
faudrait faire sauter les tribunes avec une mine, péter du chlore au
nez du président et jeter de la crotte sur l’or des généraux. Vous ne
comprenez pas. Une revue, c’est comme une course de taureaux. C’est
un simulacre qui rappelle l’ancienne vie. C’est comme la messe qui
autrefois faisait naître un Dieu, ou le coït qui produisait des enfants.
Mon pauvre ami perdu, tu joues avec des paltoquets d’ouate rose et
tu t’étonnes ici. Si tu reliais un peu tes gestes les uns aux autres, tu
t'éviterais quelque ridicule, tu sais. »
Boum! Boum! La cavalerie s’élance. Arrive l’artillerie qui prend
position derrière la cavalerie.
Boum! La cavalerie charge, enfonce l’ennemi, emporte la victoire,
gagne la guerre et obtient des réparations. Guy et moi, nous nous sau
vons. En sortant, nous croisons un jeune général qui a l’air énergique,
dont l’allure nous plaît, malgré tout. Nous comprenons mieux l’effroya
ble malentendu dont périra l’Europe.
A Londres, j’ai revu aussi à la porte du Palais du Roi-Empereur,
les grenadiers. Tuniques rouges, buffleteries blanches, énormes bonnets
qui rappellent les plus féroces imaginations des guerriers sauvages.
Ces jeunes hommes guindés vont et viennent rapidement devant leurs
niches. Il y a toujours deux douzaines de passants arrêtés devant eux,
c’est que ces mannequins rappellent le plus noble orgueil humain, le
droit de se faire tuer pour un maître.
Ils portent sur l’épaule un fusil, ustensile déjà démodé. La même
tradition exige que ces guerriers aient encore sur le front un peu de ce