Volltext: 5(1924), Janv.-Fév. = Nr. 35 (35)

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FAITES VOS JEUX 
Un soir nous allâmes écouter un concert dans une église. Tout décor 
imprévu agissait sur son état, elle s’endormit et me fit des confidences. 
Elle était partie, disait-elle, parce qu’elle était enceinte. Une religieuse 
jouait dans son voyage un rôle que je n’arrivais pas à éclaircir. Il était 
aussi question d’un revolver qu’elle aurait porté sur elle et qu’elle aurait 
jeté du train. Mais son rêve se dissipa et je fis semblant de ne rien 
savoir. Elle me demandait souvent, après ses crises, si ce qu’elle venait 
de dire n’était pas de nature à la compromettre, je la rassurais toujours. 
Cette fois elle mit tellement d’insistance que je supposai qu’elle avait 
menti. Et dans cette atmosphère de doute et de présomptions, je cueillais 
des détails rares et n’arrivais pas à coordonner leur existence dans un 
organisme réel. La lente exaspération de ma curiosité et de mes nerfs 
m’amena un soir à lui dire avec des larmes que j’étais malheureux, ce qui, 
si c’était vrai, n’avait pas de cause précise. Pour appuyer cela (peut- 
être aussi pour me rendre l’affirmation valable) je racontai, par lam 
beaux de phrases, que j’étais amoureux d’une jeune pianiste — je 
voyais Hélène transformée pour les circonstances, — que son père ne 
voulait pas me la donner en mariage, qu’un soir, le voyant debout sur 
une pierre au bord du lac, je l’avais jeté dans le flot, qu’ayant fui, je 
ne savais pas s’il était encore vivant, mais que, en tout cas, la jeune 
fille était morte peu de temps après. La mort étant la seule formule 
dont on ne peut rien dire, on pleure. C’est absurde, mais c’est l’unique 
réponse à l’écho sourd de l’autre grande et impénétrable absurdité. 
Comment ai-je pu tant mentir? Comment pouvais-je ne pas m’aper 
cevoir que ce drame manquait d’invention et de réalité? Ma naïve ado 
lescence demandait que je répondisse par quelque aventure à la vie 
tragique de Mania. J’étais à ses genoux, elle me caressait. Je l’enlaçais 
et à mesure que mon récit avançait je me sentais plus près d’elle. Je ne 
me rendais plus compte que je mentais, mais l’approche, à l’aggravation 
de mes malheurs fictifs, devenait plus intime; je me mentais si bien à 
moi-même que je pleurais à chaudes larmes, un mensonge entraînant 
l’autre, ils s’étageaient sans un autre ordre que celui d’une architecture
	        
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