TRISTAN TZARA
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verbale et arbitraire et sans que je pusse en contrôler la logique. Mania
me consolait en fermant les yeux, pour ne pas me faire rougir, et comme
maintenant je tenais à ce qu’elle ne s’en aperçût pas, j’augmentais en
gravité le rêve que j’inventais.
Notre jeunesse eut le dernier mot ce soir-là : le mensonge, presque
avoué par sa grossièreté même, nous confirma la relative tranquillité
que donne la tête enfoncée dans le sable du rêve quand on accepte
lâchement l’hypothétique inversion, celle que personne ne voit en vous si
vous fermez les yeux, et que, par conséquent, tout est permis. La raison,
comme la vigne, tient à de plus profondes racines d’habitudes. Le désir
sait si facilement s’attribuer les excuses opportunes, les accoutrements
des drames historiques, les risques contenus dans les dernières minutes
des naufragés, quand il veut réussir, que l’illusion devient aussi parfaite
que dans les procédés d’optique.
Mania, je te vois perdue dans la réalité, agitant des S.O.S. déses
pérés, après avoir fui T. B., dégoûtée à l’idée que toute ta vie tu devrais
rester victime de quelqu’un, que des hommes sans cœur puissent encore
arborer une victoire sur l’amas de misères que tu étais, et quoique ta
fierté se soit durcie, je ne puis empêcher qu’avec tant de choses que je
sentais pour toi, ce ne soit ma pitié qui t’accompagne et conduise tes actes
et te montre les rues, les fleuves et les maisons.
Mais un destin plus acide nous guettait. Il se tenait caché derrière la
tête de Mania. Et il a agi jusqu’aux dernières brûlures que nous pou
vions supporter. Car il ne faut jamais s’opposer aux difficultés qu’on
sent venir. Elles anéantissent et purifient. C’est le seul courage des lâches
comme la propreté est le luxe des pauvres. Quel prophète, quelle
chanson nous fera comprendre qu’on n’est riche que de sa vie? Alors
seulement le savon du cœur pourra laver les pourritures, les linges sales,
les confusions et les monstruosités dont s’honore avec fracas l’apparente
gaîté des hommes.
(A suivre.)
Tristan Tzara.