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LE ROMAN
feuilles ibres
LE ROMAN
LEWIS ET IRENE, par Paul Æo,and, (Bernard Grasset édit.).
Modifiant son parcours favori, Paul Morand s'est essayé sur la
longueur du roman. Il s'agissait de retenir son souffle, de freiner sans
cesse pour conserver un mouvement uniforme au récit, d'apparier deux
silhouettes et de les faire jouer l’une sur l’autre (au lieu d’en élire une et
de laisser l’aventure et le milieu la gonfler jusqu’au “type"). A ces points
de vue, Lewis et Irène sont une réussite. Néanmoins, cette réussite
me gêne, un peu comme un échec. Certains auteurs gagnent à la
preuve qu’ils ne sont pas capables de tout. Cette preuve-là Morand
mettra longtemps à nous la donner. Sa souplesse se joue de tous les
obstacles. Il a voulu écrire un roman. Ce dernier saut de haie corres
pondait sans doute au désir d'une estimation plus complète. La mode
qu’il a toujours si joliment malmenée, tout en la servant, l’a entraîné
cette fois sur une piste tendre et facile où les fleurs vous cernent à
l'arrivée. Encore faut-il avoir le cœur solide.
Le grand reproche que je ferai à Lewis et Irène c'est une absence de
rayonnement et de pédale. Le théorème sentimental y est démontré
à l'aide de mots chiffrés et de formules. Il semble que ce soit Morand
le banquier et Lewis le poète. Or, le malentendu de ces deux cœurs
séparés par une même passion des affaires comportait plus de détours
et de découvertes. Il y avait, derrière la nouveauté du sujet, quelque