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ANDRÉ SALMON
on peut le dire, la poitrine nue de Lionel. Vous êtes un Français si énor
mément sympathique!
Lionel entendit tousser durement Hans Macke, assis dans son fauteuil
de l’autre côté du mur. Il crut l’entendre discourir, prophétiser, et il rêva
tout éveillé de gens de la police verte avec leurs shakos suisses à deux
visières, identiques aux cibles de la cote 283, envahissant la maison des
pauvres.
Moriss et lui échangèrent quelques mots à voix basse. Parole ! dit haut
et le dernier, Moriss Breitenstrater. Moriss Breitenstrâter demeura dans
la chambre dont Mêla, sans bruit, ouvrit la porte, puis la referma avec
une feinte violence.
— Père, dit Mêla, c’est le jeune Monsieur français.
— Donne-lui le tabouret bleu, petit cœur.
— Père, il s’excuse, il ne peut demeurer qu’un instant...
— Quand revient-il? Je veux lui dire... mais vous êtes là, jeune
ami?... L’Histoire, voyez-vous, est une science dangereuse, il faudrait
assez de sagesse pour écrire l’Histoire sans critique de l’Histoire car,
entendez bien cela, c’est par sa critique qu’on tend à nourrir l’Histoire
et c’est un terrible estomac, monsieur, un ventre abominable! C’est une
poche qui engloutit, qui engloutit!... Est-ce qu’il est déjà parti, petit
cœur?... Je n’entends rien... je ne me sens pas bien, petit cœur...
Moriss Breitenstrater passa la frontière de Hollande, par Cologne-
Dortmund, adroitement maquillé, car ce privat-docent avait été aussi
un peu acteur chez Rheinardt, et, les poches pleines de devises étran
gères, très chic, mais d’un chic discret, inaperçu, dans l’un des beaux
complets que le petit Lionel avait apporté de France pour épater les
« boches ».
André SALMON.