LES BONBONS DE L’ÉMIR
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parmi les hommes avec ses anges castrés. Il a ouvert ses grands tiroirs
et vidé sa garde-robe. On sait à quoi s’en tenir au sujet de tout. Le
grand phonographe parle. Ne savez-vous point ce qu’est l’honneur, un
traité, la liberté, la justice, le passé, l’avenir, le siècle, l’élévation, la
sauvagerie, l’infini, le droit et la lune? Les fleurs s’échappent du duvet
des séraphins qu’un ministre a fait sécher entre les pages de son porte
feuille. Les dents rouges de l’homme d’Etat s’entr’ouvrent pour laisser
couler la certitude des mots qui régissent mécaniquement la vie du
peuple.
La grande gueule universelle produit la connaissance; ce n’est pas 1*
lumière de la cervelle. Il suffit de créer un mot pour créer une chose.
Saint Jean, qui n’était pas celui à bouche d’or, l’a spécifié de la manière
la plus athée. Comprendrez-vous ce que peut être la masse d’un corps
si le mot masse n’existait pas? Dans le langage courant, il est facile de
faire d’un enfant un menteur, d’un homme un assassin, ou d’une femme
une prostituée. Les traiter de menteur, assassin, prostituée, les revêtent
virtuellement des attributs qu’on leur accorde par tels qualificatifs, et
les incitent à accomplir les actes que ces qualificatifs sous-entendent à
l’habitude. Les mots font naître les sentiments correspondants et ceux-ci
entraînent les actes. C’est pourquoi les mots sont d’une telle commodité
pour les civilisés, et en particulier pour les hommes d’Etat; ils leur per
mettent d’arriver à leur fin et d’évoluer au-dessus des masses verbivores
dans un sillage de lumière et d’infaillibilité papale.
La politique est pour l’homme qui a cessé de regarder le soleil et de
se croire traversé par un axe sur lequel quelque saint s’empale, une occu