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ANDRE LHOTE
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autrement que par l'imitation du morceau, sont autant de
guides montrant la bonne voie au peintre d'aujourd'hui,
égaré par trop de mauvais bergers dans les sentiers malo
dorants du naturalisme.
Au cours d'un voyage que je fis en Hollande, pays
des intérieurs “ composés ’, je vis des amateurs renoncer
à contre cœur à l'achat de tableaux de camarades ayant
exposé à la “ jeune peinture française ", sous le prétexte
que ces toiles détruiraient l'unité de leur appartement.
N'est-il pas permis de penser que le point de vue déco
ratif auquel ils se plaçaient les privaient de certaines
joies plastiques et intellectuelles? “Ces tableaux déton
neront chez moi" me répondit-on, cnmme j'en conseillais
l'achat; ils se feront trop remarquer. — N'est-ce pas là
se plaindre que la mariée est trop belle? En effet, si un
tableau, au lieu d'être une chose amorphe, est un orga
nisme vivant, il convient de se féliciter de le posséder.
Une œuvre peinte qui n'a pas plus d'importance qu'un
tapis que l'on peut regarder du coin de l'œil, n'est pas
une œuvre réussie. Celle -ci est comme une personne
vivante, souvent comme une personne mal élevée; c'est
un être qui possède un caractère bien déterminé, lequel
n’est pas toujours du goût de la potiche japonaise sa voi
sine ni de la photographie du grand'père qui lui fait face.
Accueillir un tableau chez soi, c’est introduire un person
nage de mœurs difficiles, turbulent et quelquefois agres
sif. Je comprends ces amateurs qui recouvrent leurs
tableaux d'un voile, qu'ils soulèvent lorsqu'ils éprouvent
le besoin d'être dérangés dans leurs habitudes; je com
prends les japonais qui, pour conserver intact le pouvoir
de suggestion de leurs kakémonos les roulent et les enfer
ment dans un coffre jusqu'au moment où le souvenir de
leur émotion se sera légèrement effacé. Si l’on veut vivre