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MARCEL RAVAL
gué, coté, classé. L'objectivité en est garantie, car Jean Esptein n’est
pas poète : il peut sauter par dessus l'amour-propre des coteries.
Mais puisqu'à toutes les époques l'Art Poétique se noue à la fin
d'un parcours, il faut croire que La Poédie d'Aujourd'hui marque, elle
aussi la fin d'une crise. Cela n'est pas invraisemblable. De toutes parts
une lassitude se devine. Certaine poésie elliptique et dynamique, sur
tout, que le Gratte-ciel, le Cinéma et le Télégraphe entretenaient si
luxueusement, se fripe, se démode, nous apparaît déjà comme un jouet
de l'autre année.
La poésie n’a rien à voir avec le progrès. Pour s’être, un moment
crue susceptible de s'adapter à des conditions toutes matérielles de vie
et de mouvement, elle a cueilli dans cette recherche une leçon d'humi
lité qui la ramène docile et flexible à notre maniement. Cette poésie a
eu sur nous le prestige que les bijoux exotiques ont exercé sur la mode
des femmes. Cela seul suffirait à la condamner. Mais comment aussi
n'être pas frappé de l'absence de rapports qu’il y a entre elle et le cu
bisme dont on veut à toutes forces qu'elle procède. Alors que celui-ci
nous offre une richesse de surfaces, une multitude de haltes pour l’œil
et cette transposition sur le plan intellectuel qui éloigne et recompose
l'objet réel selon des données moins immédiates, celle-là directe, im
pulsive et déhanchée n’est bien plutôt qu'un bas-impressionnisme camou
flé. Fausse richesse en tous cas que celle d’une poésie qui vit sur un
capital d'images et de l’exploitation d'un vocabulaire barbare et neul.
Cette faiblesse, Jean Cocteau, dans Le Secret Professionnel, la
dénonce avec cette justesse et cette précision qui font de lui — pour
employer une expression qui lui est chère — le plus fin tireur de notre
époque.
... un poète qui procède par images peut nous distraire comme un commis-voyageur
amuse la Table d’bote en confectionnant un lapin avec une amande et des allumettes, il ne
nous touchera jamais. Il t'occupe de poésie. Il parfume ses roses. Si les roses sont fausses, il
trompe les naïfs. S’il possède réellement des roses, il les gâte. On pourrait dire de presque
tous nos grands poètes qu’ils gâtent leurs roses.
Mais ne cherchez pas davantage dans ce livre, où les idées les
plus diverses — la question du style, la versification, l’esprit de poésie,
l’arrivisme etc... — s’apprivoisent, se dévoilent, se livrent avec cette