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A. DODERET
POÉSIE
CHARMES ou Poèmed, par PauL Valéry (Ed. de la N. R. F.)
De même que la Mathématique et la Géométrie sont les conditions
de l'architecture, il semble que l’inspiration de Paul Valéry soit
provoquée, aidée, soutenue par les exactes données d’on ne sait quelle
science pour quoi l’imagination contrôlée par le goût serait l'instrument
d'investigation le plus sûr.
La belle matière le tente, traitée par l’alchimie la plus exquise.
Autour du mot choisi, jeté sur la feuille comme le premier grain
d’un collier futur, les autres mots, conduits par l'idée, viennent s’atta
cher en cristaux étincelants. Une cadence naît. Le vers s'isole, à moins
que, lançant, à la manière d’une fronde, le rejet, il ne se soude, forte
ment, à l’autre vers. Alors tout concourt vers la beauté finale. L’idée,
au besoin, se voilera d’une ombre indispensable pour faire saillir un
relief; et notre attention aiguisée par l'effort d'un instant aura toute
la sensibilité voulue pour goûter une musique subtile et neuve.
Chez lui l’allitération est un jeu musical auquel il se complaît et
dont il tire les effets les plus variés; la répétition d'une même lettre au
début ou dans le corps des mots lui suffit pour retarder ou accélérer
le mouvement d’un vers ou pour insister sur une harmonie. L'emploi
de la césure est une de ses plus savantes habiletés. Elle partage son
vers sans l’interrompre, à la façon de ces rubans qui n'apparaissent
que çà et là et qui soutiennent la guirlande.
Parfois, entre deux pauses légères, fait de deux fragments
d’alexandrins, escamotant la rime, sonne un de ces âpres vers de
neuf pieds, utile vigueur au milieu d'un glissement trop agile, pierre
isolée qui retient le courant et refuse le polissage des eaux.