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LA PEINTURE 301
sur les rives du Llobregat la misère fait encore naître quelques artistes
et les pousse hors d’Espagne. C’est à Paris que vit Creixams.
Creixams nous vient d'un de ces faubourgs de Barcelone où les
linges font tache de soleil aux fenêtres, quand l’ombre a déjà gagné
Monjuich. C'est là que j'ai rencontré les modèles du peintre, ces jeunes
femmes nues ou presque sous la robe de cadis. Les marins les tutoient,
non qu’un vice commun les rapproche, mais parce qu'il convient de
s’avouer sa malchance. Ces Catalanes sont quelquefois très belles quand
la charge d’une cruche de grès modifie leur silhouette déhanchée. Cer
taines sont oliveuses et vont aux vendanges. Près d'elles j'ai pensé à
Creixams, à son atelier où en plein été à midi, il semble qu'un coin
d’Espagne sommeille si la lucarne est d'un bleu dur, sans défaut.
Creixams est né en 1893. A treize ans, ayant perdu son père, il
essuie la vaisselle à bord de " l'Ibise " un petit navire qui transporte
les passagers, du continent à Palma de Majorque. L’année suivante il
joue de la varlope et du rabot, il est menuisier. En 1908 le voici tra
gédien, on l'appelle Crexens, il parcourt l'Espagne. Huit ans plus tard
il travaille aux champs près d'Albi, en France. En 1917 à Paris, il est
typographe à la Belle Edition, de François Bernouard. Il tire les bois
de Vlaminck, de Jean Marchand, d'André Derain. Ouvrier d’impri
merie, boulevard Saint-Jacques en 1919, il apprend à dessiner. La
journée finie, près de la lampe il broie des couleurs. Patiemment il
achève une toile et l'expose au café Vavin où Florent Fels la remarque.
En 1922 c'est à la galerie Paul Guillaume que les peintures de Creixams
sont accrochées, entre des Modigliani et des Picasso.
Ayant négligé toute instruction, il n'a qu'essayé de réduire à
quelques courbes élégantes les figures qu'il inventait ou que retenait
sa mémoire. Cela permet de chercher ailleurs que dans le creux d'une
paume ces signes de l'avenir qui éveillent toujours notre curiosité. A
s'approcher des premiers dessins de Creixams (ceux par exemple qui
accompagnent des poèmes en prose de M. Marcel Sauvage), ces
vignettes où chaque maladresse se fait charme, l'on connaît aussitôt de
quoi un tel artiste est capable pour peu qu'il soit son juge avec sévé
rité. Et quand la puissance sait refuser le service brutal que d'aucuns
veulent exiger d'elle, n’est-elle pas susceptible de miracles ou de chefs-