JEAN COCTEAU
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C’est cette effigie que la gloire adopte. Elle reste sourde à notre pro
cès-verbal.
La nature est trop bien portante. Elle affecte de ne penser à rien.
Aussi chérissons-nous sa maladie la plus secrète et son plus profond
calcul. Ecoutez Apollinaire et Jacob; s’ils définissent l’œuvre de leur
ami, l’un la rapproche d’une perle, l’autre d’un diamant : ils résument
à deux voix la rareté de Picasso.
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Funambules et cavales blanches, allaitements d’arlequins, figures
célestes, je parcours vite cette « époque bleue » du peintre, manière
qu’il eut très jeune et d’un lyrisme trop écrit pour qu’on en écrive. J’ai,
de même, glissé sur les papiers collés, le sable, le liège, les différences
de matière du commencement du cubisme, car ils relèvent de la critique
descriptive, séduction à laquelle je voudrais ne plus me laisser prendre.
Ce qui me regarde, c’est Picasso décorateur de théâtre. Je l’ai
entraîné là. Son entourage ne voulait pas croire qu’il me suivrait. Une
dictature pesait sur Montmartre et Montparnasse. On traversait la
période austère du cubisme. Les objets qui peuvent tenir sur une table
de café, la guitare espagnole, étaient les seuls plaisirs permis. Peindre
un décor, surtout aux Ballets Russes (cette jeunesse dévote ignorait Stra-
winsky), c’était un crime. Jamais M. Renan dans les coulisses ne scan
dalisa plus la Sorbonne que Picasso le café La Rotonde en acceptant
ma proposition. Le pire fut que nous dûmes rejoindre Serge de Dia-
ghilew à Rome et que le code cubiste interdisait tout autre voyage que
celui du Nord-Sud entre la place des Abbesses et le boulevard Raspail.
Voyage sans ombre, malgré l’absence de Satie. Satie n’aime pas remuer
son grand cru musical; il ne quitte jamais Arcueil. Nous vivions, nous
respirions. Picasso riait de voir rapetisser derrière le train la figure de
nos peintres (1).
(I) Je ne parle que des cubistes absolus.