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PICASSO
(J’excepte Braque, Juan Gris, qui devaient du reste, sept ans après,
exécuter eux-mêmes des décors pour Diaghilew.)
Nous fîmes Parade dans une cave de Rome où la troupe étudiait
et qui s’appelait Cave Taglioni, nous nous promenâmes au clair de lune
avec les danseuses, nous visitâmes Naples et Pompeï. Nous connûmes
les gais futuristes.
On trouve ailleurs les suites de ce voyage (2). Il est inutile de
raconter encore le scandale de Parade en 1917 et son succès en
1920. L’important est de consigner l’aisance avec laquelle Picasso
empoigna le théâtre comme il avait empoigné le reste.
Ce qui le rend inapte au style décoratif devait le servir sur les planches.
En effet, si la vie intense est une faute pour un décor dans lequel on doit
vivre, cette faute devient un atout lorsque le décor d’un soir doit vivre
avec les acteurs. Au théâtre, les personnages circulaient devant des toiles
mortes, plus ou moins pittoresques, plus ou moins riches. Picasso résolut
du premier coup une partie du problème. Ma réserve vient de ce qu’il
faut pour obtenir l’échange complet entre les personnages et le décor,
joindre à l’activité d’un maître celle d’un sous-ordre. L’intérêt que
Picasso porte à n’importe quel effort extra-pictural est trop relatif pour
qu’il s’y contraigne.
N’importe, avant lui, le décor ne jouait pas dans la pièce; il y assistait.
Je n’oublierai jamais l’atelier de Rome. Une petite caisse contenait
la maquette de Parade, ses immeubles, ses arbres, sa baraque. Sur
une table, en face de la Villa Médicis, Picasso peignait le Chinois, les
managers, l’Américaine, le cheval dont Mme de Noailles écrivit qu’on
croirait voir rire un arbre et les acrobates bleus comparés par Marcel
Proust aux Dioscures.
Les managers, dont le rôle consiste surtout à donner aux quatre per
sonnages leur taille délicate de cartes postales, sont une faiblesse parce
(2) Le Coq cl l'Arlequin.