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FAITES YOS JEUX
prolongé dans des promenades au bord du lac pour mieux saisir ses
rayons pétris d’air et de pétulance. Plusieurs réunions de camarades
qui n’avaient rien que leur gaieté à m’offrir, accommodées à nos soifs
communes de légère dissolution mentale, au plaisir confus de donner
l’alarme à nos émotions subites, trouvaient dans l’alcool l’équivalent inof
fensif des stupéfiants naïvement redoutés. Mais le soleil s’ajustait au
lendemain en chaînes et faisait vite s’arrêter la fermentation du dégoût.
J’ai fait de fréquentes concessions à ma pudeur, et donné des preuves
empressées d’indulgence en acceptant des réjouissances ornementales et
des rapports avec ces jeunes gens heureux et satisfaits. Mais malgré mon
désir d’assimilation, je restai un étranger pour eux. A force de vivre
isolé, quoique entouré du bruit vide mais frais, essayant de prendre part
à toutes leurs farces et cérémonies de camaraderie, je devins peu à peu
un étranger pour moi-même. Dans le peu de respect qu’ils me portaient
je ne pouvais démêler la quantité de moquerie. Cependant l’incertitude
me devint insupportable et ne pouvant pas les détourner de leurs jeux —
mon dessein était de devenir le pivot de toute l’action en les entraînant
dans des subterfuges intellectuels — je me détachai lentement de ces
choses superflues, avec la noire combustion dans mon caractère. Grâce
à l’intérêt que me portait un antiquaire qui avait adopté la façade de
ce métier pour pouvoir mieux choisir et acheter à meilleur compte ce
qui satisfaisait son âme méticuleuse de collectionneur — un gâteau informe
gonflé par l’abus de la morphine — je pénétrai dans un milieu de litté
rateurs et d’artistes aspirant à de plus hautes conditions de vie, à un idéal
politique quelconque ou à une formule inédite de l’art. L’antiquaire était
ravi de me présenter à ces derniers qui me croyaient un personnage
important — moi qui vivais d’une faible rente servie par ma famille —
car de sa qualité de collectionneur à celle de mécène il n’y avait qu’un
pas — son avarice seule l’empêchait de le franchir. Toute sa vie se
passait dans l’espace de cette hésitation.