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LE ROMAN
de paraître factice. Comme il est émouvant pourtant cet itinéraire de
Thomas, parti du néant à la remorque d'une étoile truquée — à
travers un labyrinthe de farce et de malentendu — gagnant peu à
peu son identité comme on gagne sa vie, en la risquant, et se permettant
cette dernière et glorieuse supercherie dans laquelle il tue enfin la
vérité: signer un faux avec son sang.
Jamais Cocteau ne nous a paru plus en possession de tous ses dons,
plus sûr de tous les moyens qu’il a fait siens : la clarté, la désinvolture,
la rapidité. 11 est impossible à une intelligence de se transporter plus
vite d'un point à un autre. Elle y arrive toujours avant vous et là,
en vous attendant, se livre à des jeux qui ont pu dérouter certaines
lenteurs regrettables ou de trop évidentes mauvaises fois.
Après avoir lu d'un trait ce livre on songe à tous les ouvrages
interminables qui, eux, nous ont coûté tant d’efforts. La durée n’y est pour
rien.
Proust n’est jamais ennuyeux. En revanche, combien de petits livres
font longueur. Cocteau, s'il est rapide, trouve le temps d’intéresser,
parce qu'il est riche. Cocteau n'est pas sérieux. En dépit de lui-même
il est grave. On ne peut mieux s'en rendre compte que dans Thomas
iImposteur. Il y a trouvé le point de fusion où, comme en une même
brûlure la flamme et la glace, se confondent le comique et la douleur.
Peut-être un de ceux qui n’ont jamais douté de lui peut-il en pas
sant, féliciter la Nouvelle Revue Française de s'être enfin avisée qu'il
était difficile de bouder plus longtemps l’esprit le plus rapide de notre
époque, et d’être allée vers lui au moment même où il allait lui échapper.
Jacques POREL.