RENE CREVEL
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LITTÉRATURE ET CRITIQUE
SOUVENIRS DE MA VIE LITTÉRAIRE, par Æaxime Gorki
(Simon Kra, édit.)
Maxime Gorki vient de rassembler les premiers souvenirs de sa vie
littéraire ; après tant de révélations slaves, son œuvre, les pommettes
saillantes, les joues creuses, le front soucieux, les mains froides mais
le cœur chaud (ainsi disent nos bonne gens de l'Ile de France), le cœur
chaud d'amour, de pitié, de vodka, de désirs, d'inquiétude et de chants
mystérieux, nous offre une raison nouvelle de nous émerveiller.
Pour débuter, c'est toujours une surprise, or le coup de vent qui
d'abord semblait troubler l'atmosphère douillette, en réalité ne faisait
qu'apporter une nourriture impondérable et nécessaire. Maxime
Gorki ouvre très grandes les fenêtres et nous respirons un air où se
mêlent des odeurs de moujiks et des relents d'alcool, où pullulent les
microbes, tous les miasmes et toutes les tentations, mais que parfument
aussi l'innocence des fleuves, la candeur des neiges et surtout cette foi
qui donne une beauté aux plus pauvres visages et triomphe du déses
poir monotone des bateliers : une chanson lugubre — L'âme se consume
doucement — un chant qui répand sur le cœur une cendre de trioteooe.
Comme le Patron, comme En gagnant mon pain, la nouvelle œuvre de
Maxime Gorki ne s'apparente ni de loin ni de près à ces systèmes dits
genres littéraires; mais dans toute cette prose que M. Dumesnil de
Grammont a si parfaitement traduite, un rythme, sans lequel on ne
saurait guère plus imaginer les mots, les phrases qu'une pendule sans
son mouvement, donne aux êtres, aux choses vie et raison d’être.
Le mot rythme, se récriera-t-on, est un mot large mais bien vague.
Comment n'en point convenir? mais qui dira de quoi sont faites les
œuvres russes (sans doute faut-il excepter les livres de Tolstoï dont le