MARCEL RAVAL
213
RAYMOND RAD1GUET
Quelle sagesse, lorsqu’on a vingt ans à vivre, de si bien tracer sa
courbe qu’elle vienne, le dernier jour, se refermer sur elle-même et
qu’il apparaisse alors que c’est un cercle pur et clos. La mort qui,
en surprenant l’adolescence, déjoue et défait tout, n’a pas empêché
cette fois un esprit plus rapide que la vie d’aller jusqu’au bout de lui-
même. Il a parcouru ses étapes avec une vitesse d’étoile. Le point de
suspension coïncide avec le point final. Tout est dans l’ordre, et Radi
guet laisse une œuvre légère et compacte à la fois, — achevée comme le
sont toutes celles qui comptent.
Une chose qui explique et situe Radiguet, c’est ce malentendu entre
son époque et lui qu’il n’a cessé de cultiver. Sa personnalité susceptible
à l’extrême ne laissait aucune influence jouer sur elle. Dépaysée par
les audaces trop faciles qui embourgeoisaient la littérature dans le
désordre, elle renoua de plus loin, spontanément, avec les grâces d’une
tradition abandonnée.
Je me souviens d’un soir où Radiguet s’abandonna à des confidences.
Il m’avoua qu’il était insensible à la musique, qu’une toile cubiste
restait pour lui lettre morte, que dans toute la littérature moderne, trois
ou quatre œuvres seules le touchaient. C’est de ce jour que j’appris à
le mieux connaître. La distinction de son esprit s’accommodait mal des