TRISTAN TZARA
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rible confusion mentale qui n’a du vertige que le roulement et la conti
nuité du gyroscope et de la roue de moulin saccadée par l’échelle des
poches de bois. Cela est vaste et non contrôlé et échappe à la mémoire
descriptive qui n’est, en somme, qu’une décoration de successions.
En entrant dans la chambre, elle vint s’asseoir sur le lit. J’avais prévu
ce mouvement. Elle garda son manteau et ne le retira qu’après que je
l’y eus engagé mais sans trop insister. Je lui montrai un livre. Je ne sais
plus comment nos deux têtes, joue contre joue, étaient réunies. A cet
accueil frémissant on sent briller ses yeux, et une crispation de son
tombant d’un arbre émerveille vos oreilles. De là au glissement qui
conduisit mes lèvres sur sa joue, il n’y eiit que les quelques secondes
comptées sur le pouls de sa main serrée par la mienne. J’attirais avec
force des parties de son corps, sans me demander pourquoi ce qui aurait
fait mal en d’autres occasions servait ici à une approche absurde de chairs
exclusives.
De la joue, mes lèvres glissèrent jusqu’à ses lèvres, où je constatai
la fin des jeux préparatoires. L’attente d’un dénouement ou d’une sur
prise les ont rendus plus difficiles que le reste. On voudrait enfin res
pirer. Ce qui suit est formé aussi de glissements lents et de simulacres
gradués, mais ne présente que l’intérêt des pénibles commencements.
J’attachai peu d’importance à cette aventure. Ma naïveté me fit
espérer (était-ce un désir?) quelle allait se terminer le lendemain. Je
savais déjà qu’il y a deux façons de coucher avec les femmes. La pre
mière est directe, sans aucune préparation; c’est entendu qu’on monte
dans la chambre pour cela. La seconde est faite de ménagements et
dure plus longtemps. On dirait que les caresses produisent une péné
tration indéniable des chairs, comme le frottement des métaux leur
attraction.
Je suis resté quinze jours avec elle, dans la même chambre. Je fus