TRISTAN TZARA
89
de se formuler en abandon complet de sa personne et en exagérations
de son amour. Dès que j’eus la certitude de son attachement pour moi,
qui, au fond, l’accablait, l’enchaînait, la torturait, je vis s’assoupir l’attrac
tion secrète et fine qui, avant, me soumettait à son charme langoureuse
ment réconfortant. C’est atroce, mais ce n’est pas ma faute, car il
n’y avait pas de préméditation. Les hommes et les femmes devraient
toujours garder l’un envers l’autre quelques mystères de réserve, par pré
caution, car les désirs de se connaître une fois assouvis, le premier conten
tement se transforme en fatigue comme l’horizon à la campagne se pro
longe avec le séjour ennuyeux, morne et prévu.
Je continuais à la voir dans la maison que j’avais louée. Elle m’écri
vait des banalités qui avaient pris pour elle une signification réelle :
(( Tu es doux, mais pas caressant; il faudrait que tu sois brutal, je
t’adorerais ou ce serait le contraire; tu m’affoles, je ferais des folies pour
toi. Et puis, tâche d’être sage, car je m’en apercevrai; quoique cela, tu
auras le droit de faire juste une fois l’amour par semaine avec moi,
comme cela, quand tu voudras faire l’amour, faudra me violer. Tu n’as
pas à te plaindre : tu as une des plus jolies femmes, pas bête, amou
reuse, pas embêtante, pas femme de luxe, et pas vérolée, et tu n’es pas
content, tu cours après l'insaisissable; estime-toi heureux. Enfin, il faut
que je te prenne comme tu es, tu es quand même mon amant que
j’adore, celui qui me fera mourir de plaisir et de douleur, tu es le seul
qui ai ma bouche, mon corps, mes regards amoureux... etc., etc. »
J’allais parfois chez elle. La dernière fois que je la vis, elle me
parut plus inquiète que d’habitude. Elle pleurait et ne voulait plus me
quitter. C’était un jour dfc tempête et j’attribuai sa nervosité aux coups
de tonnerre qui se précipitaient en cascades et en échelles brusques à
nos portes.
a
Le cyclone avait mis le crochet dans l’œil du bossu, le bossu sur la