JOSEPH DELTEIL
103
IV
ROME
J’avais des manchettes. Je cherchais dans les ruches et dans les planètes
une beauté instable et irritée. J’avalais chaque matin douze sorbets à la
glace, arrosés de thé chaud et de punch. J’écrivis une Histoire de Russie
dans laquelle je combinais les événements confus selon un ordre esthé
tique. Je supprimai quatorze désastres et j’inventai des batailles de prin
temps. Et la biche bêlait.
L’épagneul me suivait à la chasse. Je mangeais les lapereaux crus.
J’étudiai l’astronomie et la science des fleurs. Je m’imbibais le crâne de
morphine. J’achetai des fioles, des loupes et des brochures sur la trans
mutation.
Le jour de Pâques, je voulus m’exorciser. J’évoquai Néron.
C’était le soir. J’attachai la biche sur une meule de paille. Elle
ruminait, le nez double, les sabots secs. Je saisis Mazeppa, je lui liai
les pattes et le jetai au milieu de la paille. Et je mis le feu. Tandis que
la fumée, puis la flamme, s’élevaient, je lisais à haute voix, dans Tacite,
le passage prestigieux. Le soleil se couchait derrière des nuages rouges.
Un cor sonna. Les gémissements de la biche, les abois de l’épagneul
emplissaient peu à peu l’atmosphère. Je saisis mon violon. Je préludai.
Vive Néron!
Joseph DELTEIL.