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CHRONIQUE DE LA PEINTURE
Mais au fond des prétentions, quelle lie ? Nulle abs
traction. D es fleurs, des paysages, des natures-mortes,
des femmes nues, des visages. Sans plastique abstraite.
Les fleurs sont des fleurs, les femmes nues sont des femmes
nues. Et pour quel usage? — Tous les sens se ferment
comme se ferme une anémone de mer. Et l'esprit s'endort
dans sa coquille. L'art contemporain offre au public sa
puberté fatiguée.
Sous les palmiers du désert de grandes ombres sommeil
lent, désormais absentes de l'exhibition vulgaire. Elles
échappent à la mode. Leur grandeur se pare des plumes
de la solitude. Le soleil de la renommée les allonge sans
mesure comme s'il allait se coucher. Maintenant ce sont
les cahots de l'éternité qui commencent.
Matisse, Picasso, Derain. On ne pense pas à eux au
Salon des Tuileries. On oublie qu'ils ont existé, et que
tremblants ils se sont réfugiés dans les derniers calculs de
perpétuité glorieuse. On oublie aussi l'ombre agitée du
" Nietsche cubain " qui croit être à lui seul une capitale,
et profite du silence des étoiles pour chanter en Espagnol,
quelque part, des chansons parisiennes. Chère petite fin
du dadaïsme professionnel. On oublie cette autre ombre
absente et toujours seule, qui pourtant vous tapisse le
cœur à l'intérieur, Chirico. On oublie Man Ray, témoin
d'un immense ciel nouveau des formes abstraites. On
oublie tout.
Mais on n’oublie pas Bouguereau. C'est à l'heure qu'il
est, et dans ce magasin de nouveautés, le seul homme
inoubliable, le seul tentateur quoique mort, le dictateur
élu, Bouguereau l'admirable, le dispensateur de la loi et
du sucre, des parfums irréels, purs et amoraux, créateur
d'un monde abstrait discipliné comme un bagne, plein de
fantaisie comme un marigot, forêt vierge en plume et soie
pour calmer la fièvre froide.