W. MAYR
135
rumeur sourde emplit l’Opéra, après un morceau symphonique ultra
moderne. Va-t-on siffler ouvertement, ou chuter seulement? Kousse-
vitzky se retourne, et quasi méprisant, tient tête à l’orage qui menace.
Comme un capitaine sur le pont du vaisseau en péril, il ne quitte l’es
trade qu’après l’apaisement des flots. Quand on acclame, il désigne d’un
geste noble et généreux l’auteur, tapi dans la salle, et l’invite à parti
ciper au succès.
Parmi ces vrais chefs, il y a Georgesco aussi. Il dirigea, l’autre
hiver, l’orchestre du Conservatoire. Jamais je n'avais si bien compris
certains passages de la cinquième symphonie de Beethoven. Après cette
révélation fulgurante, le Procession nocturne de Rabaud se déroula en
une fresque gigantesque, menée par cette baguette magique.
0
On se tromperait toutefois, si on croyait que le chef est un agité
perpétuel, un dément que secoue le « delirium tremens » de la musique.
Le meilleur serait alors ce nègre des « Syncopated » qu'on a vu
gesticuler et gambader devant ses congénères qui se gargarisaient,
gueule ouverte, de rires mêlés aux notes qu'ils arrachaient à leurs banjos.
La mimique directoriale se confondait avec le trémoussement qui
anime les animaux quand ils entendent de la musique. Celui-là n'est pas
un conducteur, mais un frénétique inconscient. Il est mené, au lieu de
mener paître les blanches pointées et les noires du 6/8 au son du haut
bois pastoral.
Le rythme et la dynamique, voilà ce qui dénote le chef. Or, la suc
cession des temps forts et des temps faibles, le crescendo et le decres
cendo ne sont pas un art, ni une fonction du cerveau. Tout au plus
dépendent-ils du système vasculaire, peut-être des glandes intersti
tielles. Le fameux docteur à greffes ferait bien d’examiner quelques
vieux chefs de la tribu musicale...
W. MAYR.