MARCEL RAVAL
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A cette heure — les nerfs tendus — aucune explication n’a plus
cours. Il faut fuir, mentir, fuir. J’enjoins Ezza de m’attendre une
minute : le temps de reprendre ma voiture et nous partons.
Et je fuis. Une fuite belle comme une pièce de soie qu’on déchire.
La lâcheté a des douceurs de fourrure. Lâcheté, courage. Rien n’est si
près de pile que face.
a
C’est ainsi que je caresse la route, seul, avec, dans ma tête, la ber
ceuse héroïque que font 40 HP en marche, une panique d’images et,
se faufilant à travers elles et s’élargissant sans cesse : Agnès. Cette
confrontation éveille en moi un remords souriant. « Agnès, l’oubli
vous a dérobée à ma pensée! » (Comme si l’oubli n’était pas une
des faces de moi-même!) Où est Agnès? Que fait-elle? Seule dans une
grande ville, une femme se lasse vite des plaisirs de l’armoire à glace
et des flâneries. Alors?
Le poids de l’infidélité, automatiquement je m’en délivre par des
soupçons — gratuits d’abord, puis convaincus — sur la loyauté de celle
que j’ai trompée. Si j’ai pensé n’avoir plus pensé à elle, j’y vois le pré
sage de sa défaillance.
Ici, c’est Tradate. La fête chavire et s’étire. Les lumières ont cessé
d’attirer les visages. Ceux-ci les évitent, gagnent l’ombre. Tout à coup,
des cris s’élèvent, s’enflent. Puis, le silence d’une chute, d’un effroi. Je
stoppe, j’approche. Une jeune fille gît à terre, belle comme seules le
sont les victimes. Sa plaie découvre une bête. Le démon des analogies me
tourne alors la tête. Je crois reconnaître Ezza. Elle-même. Sa peau
tannée, son sourire minuscule. C’est à devenir fou. Du paysage iné
puisable des bancs d’ombres, fusillées à terre, soudain se lèvent...
Agnès à fait une rencontre. Il a les yeux bleus. La scène se passe
au café, je parie. Elle lit le billet griffonné que le maître d’hôtel
a glissé sous la soucoupe. Pourquoi pas?... Hop là! un peu plus et je
culbutais ce char majestueux, prêt pour l’allégorie. Mais ce chemin
mm