RENÉ CREYEL
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Dans la rue, elle exige l’unique taxi, défend qu’on l’accompagne, et,
debout sur la banquette, la bouche tordue par je ne sais quel désir supé
rieur aux forces humaines, devient plus belle encore de son mépris.
Est'elle une inconsciente impératrice?
Cette autre ne sort pas les nuits où l’on danse sur les boulevards.
D’un petit hôtel de la rive gauche, elle me téléphone qu’elle passe
les heures à se parer. Sa chambre s’encombre de robes, d’écharpes ;
elle les aime comme des serpents à charmer; elle a un joli nom et ne
farde jamais son visage pâle. Elle veut que le témoignage des hommes
l’aide un peu les soirs de doute, et elle use de son accent pour se
faire aimer, tout comme M. de Talleyrand bégayait par diplomatie.
Sans doute une femme mécanique conviendrait mieux à ma sensualité.
On me dit qu’elle est sotte, mais je lui prête une grande intelligence,
n’ayant pas le courage de n’en point demander même aux plus beaux yeux.
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J’espère aller plus loin que son corps et ma raison de la vouloir
n’est pas la recherche de quelque exaltation. Tant qu’elle demeure près
de moi, je fais effort pour oublier sa peau plus douce pourtant qu’ivoire à
caresser les paupières closes.
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Un homme fort suivant le goût du siècle trousse les marquises et
leurs chambrières, essaie des étrangères et de leurs grooms en moleton
rouge. Pour moi, n’incorporant l’amour qu’à la dernière extrémité, je
demande à cette femme de laisser flotter non les voiles de ses épaules,
mais certain désir, dont le mien, j’aime à croire, n’est qu’un réflexe.
Pourtant, dès qu’elle me quitte, j’ai besoin de sa présence charnelle
jusqu’à vouloir prendre la soie de mon fauteuil pour le souvenir de
sa robe si légère.