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LIVRES
LIVRES
LES INNOCENTES OU LA SAGESSE DES FEMMES,
par la Comtesse de No ailles.
Lorsque la nuit vient, et qu’à petits pas tous les insectes s’appro
chent, lorsque les oiseaux victorieux posent leur tête sous l'aile, on
attend une minute de silence. La nuit s’étend, les bras en croix. Le
calme est né. Mais derrière cette longue draperie des drames se
nouent. Nos yeux sont baissés, nos bras trop las. Nous n’avons pas
l'audace de troubler l’ordre des plis.
Madame de Noailles, plus courageuse, écarte les lambeaux d’ombre
et de ses yeux ardents, elle regarde, elle voit. La théorie plaintive des
Innocenter se perd dans le ciel et forme une constellation.
Inclinons-nous. Que d’autres que moi, plus froids, moins attentifs,
discutent longuement ce livre. Je vis. Il y a depuis cette lecture un
univers nouveau : le ciel « couleur de te revoir », « l'ange silencieux,
porteur de paradis ». Je vous quitte, parce qu'il y a en Hollande des
moulins qui frappent « de leurs battes joyeuses le lait bleu d’un azur
humide ». Nous nous éloignons plus légers, plus fiers, et moins humains.
La couleur du ciel et l'odeur de la terre me touchent. Et j’écoute pleu
rer ces innocentes comme la source de ma tristesse. Ce malentendu
éternel comme l’amour, je veux l’éteindre et le déchirer. Madame de
Noailles, plus cruelle, l’élève comme une hostie. Un secret miraculeux,
trop lourd pour nos mains, nous est confié. J’écoute et j'obéis, mais je
ferme les yeux et je marche dans la lumière d'or de la poésie. Nous
ne le connaîtrons jamais ce secret. Il s'échappera à travers les bar
reaux de nos doigts, et s’envolera vers le soleil couchant vers les
nuages, moutons d’or. Nous croirons le posséder encore et nous serre-