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PHILIPPE SOUPAULT
Autour de lui bourdonne, comme de bruyants microbes, tout ce que
ses voisins, les hommes regardent à travers les jumelles de leurs yeux.
Il voit. Il s’aperçoit. Les lumières qui brillent pendant le jour ne com
mencent à vivre que le soir. Jean Giraudoux moins ingrat les reconnaît
enfin. Cette vision que pour une fois on pourrait appeler perçante
découvre les liens, les amitiés les plus rares, les plus lointaines du monde
entier. Il sait sur le bout du doigt la parenté des objets et des animaux,
des astres et des regards. Comme un jardinier sympathique il taille
l’arbre généalogique des intimités.
Cette science innée, cetje sorte de double vue, certains l’ont appelée
en lisant les récits de Giraudoux <( impressionnisme ». On ne peut se
tromper plus lourdement. Fixer les courants invisibles et voir plus clair
que les autres, lire les lignes du monde, reconnaître les signes lointains,
s’approcher des étoiles, écouter les dialogues silencieux et secrets.
Impressionnisme? Giraudoux ne cligne pas de l’œil pour regarder. Il
ouvre tous ses sens. Il compose un nouvel alphabet, une nouvelle table
de multiplication. Un impressionniste noterait, attraperait au vol des
sensations. Armé de son subtil filet, Jean Giraudoux arrête au passage,
regarde le genre, l’espèce et indique la vraie direction. Prononcer ce
mot à propos de VEcole des indifférents ou de Siegfried et le Limousin
est une bêtise. (1)
Jean Giraudoux le clairvoyant, Jean Giraudoux l’explorateur. Ce
tact qui l’autorise à toucher aux ailes si fragiles, aux ailes poudrées
des papillons est un don miraculeux. On ne peut l’appeler virtuosité.
Ce don n’a rien de mécanique, d’intellectuel. C’est une sensibilité un
peu indifférente, comme il a su l’avouer lui-même, un peu rapide mais
si proche de l’émotion. Un sourire est malgré tout un masque. Je
découvre plus de pudeur que d’indifférence, je ris mais je sens mon
(I) MM. Henri Mastis, Franc-Nohain et quelques autres n’ont pas manqué de la commettre.
msm