JEAN GIRAUDOUX
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cœur près de mes lèvres, près de mes yeux. Et même cette fausse
émotion que l’on rencontre quelquefois n’est-elle pas elle-même profon
dément sincère. Telle une femme dont le teint serait radieux et le
cacherait sous un maquillage. J’écoute don Manuel le Paresseux.
« C’est une petite fille souple, étendue sur un divan, qui ne parle
point et n’ouvre pas les yeux. Une dame soutient ses coussins, une dame
qui fut très belle, mais dont le visage est resté digne, car ses yeux, eux
aussi, ont su vieillir. Elle lui répète à l’oreille ce que l’on dit tout bas :
<(Je n’ose m’approcher. Je murmure, debout, à quelques mètres :
« — Cousine! cousine!
(( — C’est votre cousin, traduit la dame.
((Je ferme moi-même les yeux pour goûter toute cette aventure
comme si elle appartenait à un chagrin lointain.
« — Cousine!
(( — Il désire être près de vous, poursuit la dame.
«Je m’agenouille et lui prends la main.
(( — Qu’y a-t-il donc? fait Renée.
(( Si j’attends une minute, je me tairai pour toujours.
(( — Il y a que je vous aime comme une personne n’a aimé. Depuis
douze ans, vous êtes le but de tous mes actes, et toute ma fierté. Je
suis Manuel. »
Ce sourire, n’est-il pas celui des équilibristes, celui des amis de la
petite mort, le sourire des larmes? Ce masque autorise Giraudoux à
tout voir d’un œil indifférent. Les catastrophes économiques, les
bouleversements politiques sont des accidents dont il importe avant tout
de dégager le saugrenu. Il peut manquer de respect avec tant de charme
aux marbres des palais, à la guimauve des parlements, au sommeil
des ministres, au soleil des victoires. Napoléon donne son nom à une
mèche, à un chapeau, Poincaré à une casquette, Alphonse XIII à une
automobile, Christophe Colomb à une république. Tout ce qui tourne