JEAN GIRAUDOUX
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un écrivain qui se regardait dans un miroir (était-ce celui du temps?),
un peintre qui aiguisait ses pinceaux. C’était le moment où la poussière
tombe, l’époque où la lumière tourne sur elle-même.
On crut reconnaître dans ce livre le regard métallique de Jules
Renard, son dessin sur papier quadrillé (1). Tout pourtant est à l’envers.
Alors que Jules Renard déclare qu’un ver luisant est une goutte de
lune (ce qui est exact, rigoureusement), Giraudoux, avec plus d’ardeur,
plus de clairvoyance, écrirait que la lune perchée sur un arbre est le
nid des vers luisants.
Il était tout de même trop facile de limiter ainsi l’auteur des Provin
ciales qui habite un astre que Jules Renard n’a jamais vu de près ou
de loin, Jules Renard l’auteur de manuels pour élèves-députés. (2)
Grâce à l'Ecole des indifférents, Giraudoux dissipa ce malen
tendu. C’est de ce livre surtout qu’il faudrait parler, le plus pur, le
plus sûr, puisqu’il s’agit aujourd’hui de l’ami. Je puis admirer, aimer
sans restriction : Jacques, Manuel, Bernard, parce que je lis un lundi,
un mardi, un vendredi. Le jeudi, le samedi, le dimanche je les
rencontre, je vais à eux, et le jeudi je rencontre et je lis Jean Giraudoux
qui est le moins indifférent, le plus lointain, le plus vrai.
Suivant l’exemple de ses héros j’écris à Jacques l’Egoïste : « Mon
cher Jacques, te rappelles-tu cette soirée où les quais étaient blonds,
les oiseaux maritimes, tes amis, des vrais amis. Tu m’as suivi pendant
de longues années en m’offrant une fleur nouvelle toutes les semaines.
La semaine de Pâques tu m’apportais la lune, celle de Quasimodo un
petit four, celle de la Pentecôte un billet de banque... »
A Manuel le Paresseux. « Manuel! je ne suis resté que deux ans
à New-York après toi. Les fils télégraphiques étaient rouges. Ces
(1) Cf. André Gide. — Nouveaux Prétextes.
( ) Qu’on ne s’imagine pas que Jules Renard soit quelconque. Il s’est trompé presque toujours
mais il a apporté beaucoup. L’oublier est profondément injuste.