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BLÀISE CENDRARS
avec de l’ombre!... Mais c’est dans l’ordre des choses, ça; le monde est
ma représentation, — donc, je tisse, je tisse, j’habille des fantômes
avec de l’ombre, je pousse l’aiguille dans le vide et je tire un fil ima
ginaire!...
Oh! là là... quel ennui! quelle migraine! J’ai mal, je ne sais pas
au juste où. Au fond, tout au fond de moi, j’ai trois points lancinants.
C’est comme si des glandes se mettaient lentement à tourner quelque
part et que j’en aie vaguement conscience. C’est toujours ainsi, après des
sensations trop violentes. Au fond de moi quelque chose s’éveille, un
mal, un malaise plutôt vague, indéterminé... une douleur fade. Je suis
en l’attente de quelque chose qui va se manifester, éclater — et qui
n’arrive toujours pas! Oh à la longue!... il me semble que trois coquil
lages s’entr’ouvrent et que des choses molles, visqueuses, tâtent et palpent
autour d’elles ; du fond de mes viscères monte un dégoût, une espèce de
répulsion, d’ennui physique. C’est ça, mon mal et encore autre chose,
car si je parvenais à le contraindre dans des mots, je le cracherais par
la bouche et je serais guéri! — Oh, quelle migraine!...
Voyons, où en étais-je? A Olympie? — Non, à Rosabelle; non,
à « Elle » — ha, ha, ha!
Non, à Ursule, à Agnès, à Marguerite. — O vous toutes que
j’ai rencontrées sur ma route!
Tournez, tournez, bon* chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours...
Ah ! en ai-je de ces coins de manège dans le cœur ! quelle puanteur
de friture et quels endimanchés jours de fête!
Tournez, tournez, bon* chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours...
Où? quand donc? — Depuis longtemps! — depuis toujours. Il est
mangé le pain d’épices!