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LES CHAMPS
Quelquefois, le vent nous entoure de ses grandes
mains froides et nous attache aux arbres découpés
par le soleil. Tous, nous rions, nous chantons, mais
personne ne sent plus son cœur battre. La fièvre
nous abandonne.
Les gares merveilleuses ne nous abritent plus ja
mais : les longs couloirs nous effraient. Il faut donc
étouffer encore pour vivre ces minutes plates, ces
siècles en lambeaux. Nous aimions autrefois les so
leils de fin d’année, les plaines étroites où nos regards
coulaient comme ces fleuves impétueux de notre
enfance. Il n’y a plus que des reflets dans ces bois
repeuplés d’animaux absurdes, de plantes connues.
Les villes que nous ne voulons plus aimer sont
mortes. Regardez autour de vous : il n’y a plus que
le ciel et ces grands terrains vagues que nous fini
rons bien par détester. Nous touchons du doigt e s
étoiles tendres qui peuplaient nos rêves. Là-bas, on
nous a dit qu’il y avait des vallées prodigieuses :
chevauchées perdues pour toujours dans ceFar-West
aussi ennuyeux qu’un musée.
Lorsque les grands oiseaux prennent leur vol,
ils partent sans un cri et le ciel strié ne résonne
plus de leur appel. Ils passent au-dessus des lacs,
des marais fertiles ; leurs ailes écartent les nuages
trop langoureux. 11 ne nous est même plus permis
de nous asseoir : immédiatement, des rires s’élèvent
et il nous faut crier bien haut tous nos péchés.